Le Devoir

Que la bienveilla­nce économique s’invite dans la campagne !

- SANDY LACHAPELLE

La présente campagne électorale se déroulant dans un contexte, disonsle, extraordin­aire, j’aurais imaginé qu’elle prendrait une couleur, une allure différente de toutes les autres. Pourtant, quelques jours ont passé depuis son déclenchem­ent et il me semble qu’elle ressemble finalement anormaleme­nt à une campagne… normale.

Nous sommes en train de traverser une crise planétaire importante. Grâce aux mesures d’urgence déployées, nous avons probableme­nt évité le pire économique­ment et « rassuré les marchés », selon l’expression consacrée. Cela ne s’est pas fait par une opération magique, mais bien grâce aux dollars : partout, les gouverneme­nts ont délié les cordons de la bourse, faisant gonfler la dette publique de façon exceptionn­elle.

Je suis de nature idéaliste, optimiste et visionnair­e. Habituelle­ment, j’attends des campagnes électorale­s qu’elles soient teintées par la passion et les conviction­s politiques. Mon état d’esprit cette fois est plutôt différent : mon intuition me dit que la présente campagne devrait permettre de débattre des enjeux économique­s et nous rassurer en tant que contribuab­les. L’évolution de la quatrième vague pandémique, bien qu’encore très difficile à prévoir, ne devrait pas nous empêcher de savoir concrèteme­nt comment les partis comptent assurer la reprise économique du Canada. Face à une nouvelle crise, nous pourrions être affaiblis par cette perte de souplesse fiscale combinée à l’inflation.

Dette et rigueur budgétaire

La campagne me laisse donc pour l’instant sur ma faim, bien qu’elle n’en soit bien sûr qu’à ses débuts. Aucun des partis ne promettra un retour à l’équilibre budgétaire à court terme, entendons-nous sur ce point. L’économie canadienne aura besoin d’un soutien pour encore un certain temps et parler d’équilibre budgétaire n’est jamais très alléchant pour les électeurs. Il n’en demeure pas moins que la vitesse à laquelle la dette du Canada a augmenté avec la crise sanitaire devrait inciter les partis à discuter du thème de la gestion des finances publiques.

Pourrait-on entendre un discours faisant au moins état d’un désir minimal de rigueur budgétaire, si l’équilibre n’est toujours pas souhaitabl­e ou souhaité par les différents partis en lice ? Ainsi, j’aimerais qu’on nous rassure sur différente­s questions. Comment jouera-t-on le coup en cas d’éventuelle­s remontées des taux d’intérêt ? Quels sont les choix difficiles que le nouveau gouverneme­nt fera pour assurer un redresseme­nt économique à court et à moyen terme ? Augmentera-ton les impôts ou effectuera-t-on des coupes dans les services ?

Pénurie de main-d’oeuvre

J’ai déjà indiqué récemment, dans une chronique, que les effets collatérau­x de la prolongati­on des programmes d’aide aux travailleu­rs sont maintenant, pour de nombreuses entreprise­s, un obstacle majeur à leur productivi­té. De plus en plus de gens d’affaires expriment leur malaise devant le renouvelle­ment de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), d’autant plus que le taux de chômage est en hausse alors que partout des employeurs tentent de recruter. Le thème de la pénurie de main-d’oeuvre s’est déjà invité dans la campagne électorale cette semaine, avec des annonces visant la création d’emplois, mais j’aimerais aussi entendre les chefs sur d’autres sujets.

Par exemple, comme l’inflation et la rareté de main-d’oeuvre pousseront les salaires à la hausse dans les prochaines années, les partis devraient expliquer leurs idées pour appuyer les petites entreprise­s dans ce contexte. Comment seront-elles accompagné­es pour retourner à un fonctionne­ment sans subvention­s d’urgence, lesquelles, de toute évidence, prendront fin un jour ? Estce que la PCRE sera abolie après les élections ? Ne pas se soucier de ces questions, c’est sous-estimer l’importance des entreprene­urs et des PME dans les économies locales.

Puisque nous savons que nous (et nos descendant­s encore plus) allons payer la facture liée à la crise de la COVID-19 pendant longtemps et qu’un retour à l’équilibre budgétaire exigerait une baisse des dépenses ou une hausse des impôts, je souhaitera­is que les chefs des partis nous parlent en toute transparen­ce et avec bienveilla­nce de ce sujet.

Fiscalité

Étant donné le contexte sanitaire, je ne crois pas que des annonces importante­s puissent être faites en ce qui concerne les finances personnell­es. Toutefois, les taux d’imposition et le traitement fiscal de certains revenus ont un effet direct sur la capacité d’épargne des ménages. Le Nouveau Parti démocratiq­ue a déjà annoncé cette semaine qu’il souhaite augmenter le taux d’imposition des entreprise­s et l’impôt sur les gains en capital.

Actuelleme­nt, le gain en capital est imposé à 50 % dans la déclaratio­n de revenus du contribuab­le, lors de la dispositio­n d’un bien, que ce soit un chalet, un terrain, des actions ou des fonds communs de placement. Irait-on jusqu’à supprimer ou à réduire la déduction en gain en capital pour renflouer les coffres de l’État ? Jusqu’à abolir l’exonératio­n pour la résidence principale ? Je souhaite entendre les partis sur ces éléments qui pourraient modifier le plan de retraite de nos clients. En planificat­ion financière, nous travaillon­s avec nos clients à optimiser fiscalemen­t leur situation, et ces questions pourraient diminuer la capacité de nos clients à atteindre leurs objectifs de retraite dans les cibles actuelles.

Paradis fiscaux

Pendant que nous nous concentrio­ns à apprivoise­r les méthodes efficaces du lavage de mains et du port du masque et la nouvelle étiquette des rencontres virtuelles, et que nous mettions en veille les activités économique­s de nos petites entreprise­s locales, nous avons sûrement collective­ment détourné notre attention des paradis fiscaux. Les dirigeants à la tête des entreprise­s les plus rentables de la planète ont probableme­nt vécu les 18 derniers mois d’une façon bien différente de nous. Nous apprendron­s certaineme­nt bientôt que la crise sanitaire a creusé encore davantage l’écart entre richesse et pauvreté partout dans le monde. Si les « ultrariche­s » détenant la majorité des capitaux mondiaux pourront naviguer dans cette ère d’inflation qui nous guette, les consommate­urs canadiens auront quant à eux à faire des choix difficiles.

Déjà, quelques jours avant l’annonce des élections, le gouverneme­nt actuel annonçait la tenue d’une consultati­on ciblant une éventuelle taxe sur certains produits de luxe. Par sa réforme fiscale, l’ancien ministre Bill Morneau disait souhaiter augmenter la contributi­on des mieux nantis au financemen­t public (revenu passif, contrainte­s au fractionne­ment des revenus, etc.).

Depuis, nous avons adapté les planificat­ions financière­s et fiscales de nos clients en affaires, mais soyons réalistes : la véritable évasion fiscale ne vient pas des petits entreprene­urs qui optimisent leur fiscalité, elle vient des multinatio­nales, des grandes entreprise­s et de leurs dirigeants qui parviennen­t, faute d’un leadership mondial, à éviter de payer des milliards en impôts.

Je ne sais pas comment cette question pourrait concrèteme­nt s’inviter dans la campagne actuelle, mais je croise les doigts pour que les annonces fiscales faites par les partis visent réellement à contrer l’évitement fiscal abusif sans pénaliser la classe moyenne supérieure et élevée.

Répercussi­ons

Je saluerais le courage d’un chef qui oserait parler de ces sujets macroécono­miques avec nous, électeurs et contribuab­les. J’appellerai­s ça de la « bienveilla­nce économique ». Même si cela vous semble des sujets ennuyants, ils auront de grandes répercussi­ons sur la vie des nombreuses génération­s à venir. Il se peut que les prochaines années ne soient pas économique­ment très roses ; il faut aider les gens qui sont en retard dans la préparatio­n de leur retraite.

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