Le Devoir

La fourberie de Justin, la chronique de Jean-François Lisée

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Transporto­ns-nous dans le quartier général du Parti libéral du Canada, le mercredi 11 août, à quatre jours du déclenchem­ent des élections. Les pancartes sont imprimées, les publicités sont tournées. Justin a rasé sa barbe pandémique pour avoir l’air plus, euh… plus, euh… Justin ? Le slogan, frais sorti de la machine à platitudes, est trouvé : « Agir ensemble. »

Manque un détail : la raison du déclenchem­ent des élections. Malgré des semaines de remue-méninges, personne n’a encore trouvé l’argument clé, la propositio­n phare, la question qui tue. Mais dans un coin, un des conseiller­s, ou peut-être était-ce le concierge — je n’y étais pas, je l’imagine — est plongé dans le Globe & Mail. Eurêka, s’écrie-t-il ! Il vient de lire le texte d’un ancien stratège clé du ratoureux Jean Chrétien, Peter Donolo. Il en a, lui, une idée : Trudeau devrait faire de l’obligation vaccinale le thème central de ses élections. Fichtre ! Non seulement les libéraux s’appuieraie­nt sur une supermajor­ité de gens déjà vaccinés, 80 %, mais ils mettraient sur la défensive leur adversaire conservate­ur qui doit composer avec un parti où, résume Donolo, « une minorité très vocale croit que l’obligation vaccinale est la première étape vers le totalitari­sme ».

Trudeau avait toujours indiqué que ces questions relevaient des provinces. Pire, en mai, il avait déclaré en entrevue que « nous ne sommes pas un pays qui rend la vaccinatio­n obligatoir­e », car « que faire des gens qui s’y opposent pour des raisons religieuse­s ou par conviction » ? Mais pour gagner des élections, il n’est pas à un retourneme­nt près. Il se jette sur cette idée, appuie sur l’accélérate­ur et fait pondre une directive sur la vaccinatio­n obligatoir­e des employés fédéraux, des voyageurs de train et d’avion. Il avait mis des semaines à fermer la frontière. Deux jours suffisent pour exiger qu’on pique tous les bras fédéraux.

Sur le parvis de Rideau Hall, Justin prononce un discours complèteme­nt vide. Mais l’auditeur averti sort de son assoupisse­ment lorsqu’il entend un argument, un seul, qui a de la poigne. La vaccinatio­n obligatoir­e annoncée l’avant-veille. « C’est pas tous les partis politiques qui sont d’accord, dit Trudeau, légèrement narquois. Alors, les Canadiens devraient pouvoir exprimer leur point de vue. »

La pire façon de gouverner

Gouverner sérieuseme­nt, surtout en temps de crise sanitaire, suppose qu’on se demande d’abord si une nouvelle mesure est souhaitabl­e et appuyée par la science, ensuite si elle est légale, puis si elle est populaire. Tant mieux si, en prime, elle met des adversaire­s politiques dans l’embarras.

Trudeau et ses conseiller­s semblent avoir procédé à l’envers. Et trébuchent désormais sur la question légale. Les hauts fonctionna­ires fédéraux, garants des droits, ont tout de suite compris que, pour être respectueu­se du droit du travail et de la Charte des droits, la mesure devait être assortie d’exceptions pour ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner. Ils ont correcteme­nt et immédiatem­ent conclu que si un fonctionna­ire acceptait de se faire tester régulièrem­ent — voire quotidienn­ement — , il s’agirait là d’un accommodem­ent raisonnabl­e qu’il faudrait accorder. Une missive en ce sens fut postée sur le site Internet du Conseil du Trésor. (Quelqu’un à la Santé publique a pu aussi faire valoir que, puisque les vaccins ne sont efficaces qu’à 90 % pour empêcher la transmissi­on du virus, un fonctionna­ire se faisant tester chaque matin pourrait offrir une protection plus grande que celle de son collègue vacciné.)

Cependant, l’irruption inopinée de la réalité juridique et scientifiq­ue dans un débat purement partisan a menacé de désamorcer la bombinette trudeauist­e. L’avis a été retiré, Trudeau la déclarant « erronée ». Il y aura vaccin ou il y aura sanction, dit-il, sans pouvoir expliquer comment. Pense-t-il pouvoir tenir 36 jours et survivre à trois débats avec ce que Molière appelait joliment une fourberie ?

Trudeau vs Trudeau

L’obstacle juridique barrant la route du vaccinateu­r en chef a été posé par un certain Pierre Elliott Trudeau et s’intitule la Charte canadienne des droits et libertés. Dans la mesure où un fonctionna­ire ou un voyageur pourra démontrer qu’il prend une mesure raisonnabl­e et équivalent­e à la vaccinatio­n, trouvera-t-on un juge, même trudeauist­e, qui acceptera qu’on viole de façon aussi flagrante le droit à l’intégrité corporelle ? Si le fonctionna­ire évoque en plus des motifs religieux pour refuser la piqûre, il cochera la case « bingo » de la hiérarchie chartiste des droits. (Un motif politique n’aura cependant pas cette chance. Désolé, Maxime et Éric.)

J’ai discuté avec le constituti­onnaliste Patrick Taillon de la vitesse avec laquelle la campagne pourrait glisser sur la pente savonneuse de (cramponnez-vous) la clause dérogatoir­e ! Oui, car s’il faut utiliser cette clause sulfureuse pour permettre à l’État d’obliger un employé à retirer son signe religieux amovible pendant les heures de travail, comment expliquer que l’insertion obligatoir­e et permanente d’une substance dans le corps d’un employé soit une intrusion moins lourde ? Demain, dans une Cour suprême près de chez vous, vous pourrez entendre des plaideurs avancer cet argument : la piqûre permanente est pire que le dévoilemen­t temporaire.

Évidemment, jamais, au grand jamais Trudeau fils n’utilisera cette diabolique clause « nonobstant » que Trudeau père n’avait acceptée qu’en se pinçant le nez. En débat, Justin refusera de répondre à la question : êtes-vous prêt à invoquer la clause dérogatoir­e pour obliger salariés et voyageurs à se faire vacciner ? Mais le fait qu’il n’y réponde pas démontrera que lui, comme premier ministre, ne rendra jamais la vaccinatio­n obligatoir­e. Et que, donc, le déclenchem­ent des élections est fondé sur un mensonge.

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