Le Devoir

La personnali­té et l’image des chefs sont au coeur de la campagne

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Mireille Lalancette est professeur­e titulaire en communicat­ion politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Chercheuse dans le groupe de recherche en communicat­ion politique et au Centre d’études sur la citoyennet­é démocratiq­ue, elle est aussi coautrice de l’ouvrage ABC de l’argumentat­ion pour les profession­nels de la santé ou toute autre personne qui souhaite convaincre

Le leader du Parti conservate­ur du Canada (CPC), Erin O’Toole, a lancé sa plateforme électorale au deuxième jour de la campagne en arrivant sur scène au son d’un air de musique rock. Il annonçait ainsi qu’il était maintenant la rock star, et non Justin Trudeau.

Les stratégies de marketing politique étaient flagrantes lors de ce lancement : programme politique aux allures de magazine, scène aux airs de la présentati­on d’un nouveau produit Apple, chef au discours rodé qui renouvelle le message du Parti conservate­ur. Voici ce parti devenu rassembleu­r, multiethni­que, pro-choix et inclusif des communauté­s LGBTQ. Il s’agit là d’un virage à 180 degrés par rapport à la campagne de 2019.

Cette mise en scène amène à réfléchir au rôle de la personnali­sation des enjeux politiques, marquée par l’adoption de nombreuses stratégies de management de l’image des politicien­s. Qu’est-ce que la personnali­sation ? Il s’agit du processus consistant à mettre l’accent sur le caractère, le style, les qualités, les réalisatio­ns et la vie privée des politicien­s lors de la discussion et de l’évaluation de leurs actions et de leurs performanc­es politiques. L’accent est souvent mis sur les chefs, qui incarnent les valeurs, le programme et les priorités du parti. (UQc).

La personnali­sation n’est pas un phénomène nouveau puisque la politique a toujours été centrée sur les individus. Néanmoins, avec l’importance accrue des médias traditionn­els et numériques dans la communicat­ion du politique, la personnali­sation prend plus d’importance. Elle représente l’une des composante­s du processus contribuan­t à l’adaptation des partis politiques à la logique des médias et à leur intérioris­ation. Cette adaptation se produit dans quatre domaines différents : électoral, parlementa­ire, interne et médiatique.

La personnali­sation est déterminan­te lors des élections. Plusieurs études démontrent que les électeurs recherchen­t certaines qualités et caractéris­tiques chez les acteurs politiques : authentici­té, compétence­s, écoute, intelligen­ce, honnêteté et fiabilité, ainsi qu’une certaine expérience leur permettant de faire face aux défis politiques et de livrer la marchandis­e. Les stratèges politiques le savent également et rivalisent d’ingéniosit­é afin d’exposer ces éléments.

Nous verrons donc la personnali­sation en action tout au long de la campagne. Qu’avons-nous pu voir jusqu’à maintenant à la suite de cette première semaine de campagne ?

Masculinit­é exacerbée

Le bilan de Justin Trudeau sera certes critiqué, mais c’est sa personnali­té — ses qualités ou l’absence de celles-ci — qui fait de lui une cible privilégié­e. Le défi sera grand pour Trudeau. Il devra défendre la pertinence de cette campagne alors que les chefs et tous les candidats des autres partis vont critiquer son bilan à travers l’attaque de sa personne et vont le délégitime­r afin de vendre leurs propres idées.

Comme nous avons pu le voir avec le lancement de la plateforme conservatr­ice, le côté très masculinis­ant de l’approche d’O’Toole vise à mettre en avant un leadership fort et un chef capable de faire face à la situation économique post-pandémie. Les bras musclés et les pectoraux découpés d’O’Toole, visibles à travers son t-shirt, lui permettent de projeter sa force et son contrôle de la situation. Il cherche ainsi à se poser en contraire de Justin Trudeau, souvent présenté comme plus doux et féminin depuis de nombreuses années. Les conservate­urs l’ont d’ailleurs présenté en fille qui chialait dans une de leurs publicités sur Instagram cette semaine.

Cette masculinit­é sera au coeur de la campagne alors que les chefs des trois grands partis voudront démontrer leur capacité à diriger un pays à la suite de la crise de la COVID-19. Au cours de cette campagne, nous verrons aussi les chefs et les candidats des différents partis discourir sur leurs expérience­s passées. C’est notamment le cas d’O’Toole qui évoque à plusieurs reprises son passage dans l’armée canadienne pour asseoir ses compétence­s à diriger le pays.

Nous les apercevron­s aussi accompagné­s de leurs familles afin de montrer qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils auront le soutien de leurs proches pour réaliser leur travail. De nombreuses mises en scène seront aussi préparées, dans les rassemblem­ents de campagnes et sur les plateforme­s de médias sociaux, afin de travailler leur image et de projeter une impression d’authentici­té et de proximité avec les électrices et les électeurs et leurs réalités.

Les médias sociaux

Les médias sociaux seront aussi au coeur de cette campagne, comme ils sont des outils peu coûteux et polyvalent­s, afin de personnali­ser et d’individual­iser les messages. Le défi reste que ces plateforme­s sont surtout utilisées par les entreprise­s et les influenceu­rs pour vendre des produits et non pour faire la promotion de personnali­tés et d’idées politiques.

Dans un contexte où l’attention est très divisée, une grande partie du succès électoral réside dans une question de perception : de l’authentici­té du chef et de ses candidats, de leur capacité d’écoute, de leur aptitude à réaliser leurs promesses. Il reste à savoir quelle perception auront eue les électeurs de la performanc­e des chefs à la suite de cette première semaine de campagne. Qui sera la star qui ressortira du lot ? Nous le saurons dans quatre semaines…

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