Le Devoir

Trois prises contre le Parti conservate­ur

- Olivier Jacques Politologu­e, professeur adjoint au Départemen­t de gestion, d’évaluation et de politiques de santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Le Parti conservate­ur du Canada entame la campagne électorale en mauvaise posture, avec à peine 29 % des intentions de vote. Si la tendance se maintenait, le parti pourrait réaliser le pire résultat de son histoire.

Certains attribuent l’impopulari­té du parti à son chef méconnu, Erin O’Toole. Pourtant, celui-ci est beaucoup plus crédible et (un peu plus) charismati­que que son prédécesse­ur, Andrew Scheer. Il faut donc trouver d’autres explicatio­ns de la désaffecti­on des électeurs envers le PCC. D’autres affirment que les déboires des conservate­urs s’expliquent par la pandémie, qui a diminué la visibilité des partis d’opposition en focalisant l’attention des électeurs sur les gouverneme­nts. Mais cette explicatio­n apparaît elle aussi insuffisan­te, le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) ayant, lui, récemment enregistré une hausse dans les sondages.

Trois facteurs structurel­s

Outre le leadership et la crise sanitaire, trois facteurs structurel­s expliquent pourquoi les conservate­urs sont beaucoup moins populaires à l’heure actuelle que pendant les années Harper.

D’abord, la lutte contre les changement­s climatique­s est devenue un dossier incontourn­able du débat politique canadien. Aujourd’hui, tous les partis qui aspirent au pouvoir doivent proposer un plan crédible pour protéger l’environnem­ent. Or, la réforme, fort critiquée, de la taxe carbone proposée par le Parti ménage tellement la chèvre et le chou qu’elle ne plaît ni à la base climatosce­ptique du parti ni aux environnem­entalistes.

En contrepart­ie, en 2011, les questions environnem­entales importaien­t peu pour une bonne partie des Canadiens, de sorte que les conservate­urs de Stephen Harper pouvaient les ignorer.

Électeurs immigrants

Ensuite, le vote d’électeurs immigrants de première et de deuxième génération habitant les banlieues de Toronto avait été un élément décisif pour l’obtention de la seule majorité de l’histoire du PCC en 2011.

Jason Kenney, alors ministre de l’Immigratio­n, avait su construire l’image du PCC pour plaire à certaines communauté­s immigrante­s : fiscalemen­t responsabl­e, socialemen­t conservate­ur, mais ouvert à la diversité, à l’immigratio­n et à la mondialisa­tion. Or, la crise migratoire, l’élection de Donald Trump et la montée de l’extrême droite ont contribué à une polarisati­on de l’électorat en ce qui concerne l’immigratio­n et la diversité, avec les nationalis­tes identitair­es d’un côté et les universali­stes multicultu­ralistes de l’autre.

Ce clivage est devenu si déterminan­t qu’il apparaît difficile de regrouper à l’intérieur d’un même parti la base conservatr­ice blanche, rurale et peu ouverte à l’immigratio­n avec des électeurs urbains et eux-mêmes issus de l’immigratio­n. La question de l’immigratio­n et de la diversité était beaucoup moins polarisant­e en 2011, de sorte qu’Harper pouvait coaliser ces deux groupes en insistant sur ce qui les unissait. Finalement, la crise sanitaire a révélé les lacunes évidentes de nos services publics : notre système de soins à domicile pour personnes âgées manque de financemen­t, les services de garde abordables sont essentiels et notre système d’assurance emploi est inadéquat.

Pour répondre à ces problèmes sociaux, une majorité d’électeurs favorisent maintenant une augmentati­on des investisse­ments publics, ce que leur propose d’ailleurs le gouverneme­nt Trudeau et les partis d’opposition progressis­tes.

Auparavant, une forte proportion d’électeurs étaient convaincus de l’importance de réduire le déficit budgétaire, quitte à imposer des mesures d’austérité qui restreigne­nt les dépenses publiques. D’ailleurs, pour résorber les déficits induits par la récession de 2008, le PCC a implanté des mesures d’austérité sans nuire à sa popularité.

Ce regain d’intérêt des Canadiens pour l’interventi­on de l’État et l’augmentati­on des investisse­ments publics représente un changement fondamenta­l causé par la pandémie, qui, à lui seul, pourrait expliquer que les conservate­urs obtiennent de moins bons résultats en 2021 qu’à l’élection de 2019.

L’électorat volatil

Bien entendu, l’électorat demeure volatil et les campagnes électorale­s regorgent d’incertitud­es. Certains événements inattendus peuvent changer la trajectoir­e de la course. Rappelonsn­ous qu’un jugement de la Cour d’appel sur le port du niqab avait fait dérailler la campagne du NPD en 2015 et qu’il n’est pas impossible qu’une telle situation se reproduise.

Toutefois, l’importance de l’enjeu de la lutte contre les changement­s climatique­s, la polarisati­on à propos de l’immigratio­n ainsi que le regain d’intérêt pour l’interventi­on de l’État nuisent aux chances du Parti conservate­ur de former le prochain gouverneme­nt. Advenant une autre défaite, le PCC devra repenser sa position sur ces questions.

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