Le Devoir

Oui, on peut demeurer perméable à la souffrance des autres en temps de pandémie, d’égoïsme extrême et de racisme systémique… et créer de la beauté. Foi de Philémon Cimon.

Oui, on peut demeurer perméable à la souffrance des autres en temps de pandémie, d’égoïsme extrême et de racisme systémique… et créer de la beauté. Foi de Philémon Cimon.

- ENTREVUE SYLVAIN CORMIER

Écouter

la chanson intitulée Parler/changer, au coeur de

L’amour, nouvel album de Philémon Cimon, ça fait un drôle d’effet quand, à grandeur de table, Le Devoir est ouvert comme une plaie béante sur le retour en force des talibans en Afghanista­n. Au regard terrifié d’une jeune femme se sachant promise en mariage à un fantassin fantasque de l’islamisme radical, les paroles de la chanson résonnent… plus fort : « C’est qui qui va falloir qu’on tue / C’est qui qui va falloir traiter / Pire qu’un animal pour qu’on comprenne / Qu’on est tous des humains […] C’est-tu notr’ mère c’est-tu notr’ frère / C’esttu notr’ proche c’est-tu assez proche / Pour comprendre qu’un homme ça vaut un homme / Qu’une femme ça vaut une femme ».

La chanson nomme George Floyd, Joyce Echaquan, constate la courte vie de l’indignatio­n et la résistance bétonnée au changement. Colère à peine contenue. Ce n’est pourtant pas une chanson désespéran­te. La mélodie est entraînant­e et roule franc, sans plomb ni additifs, ça dit ce que ça dit sans lever le ton. « Ça reste une chanson d’amour et d’espoir, souhaite Philémon. C’est mû par le désir de trouver des solutions non violentes. Ça aboutit à la nécessité d’arrêter de se cacher à soi-même notre propre violence envers les autres, ça finit par dire que le changement “commence en nous-mêmes”. En même temps, j’ai l’impression qu’avec les talibans, on est revenus à la même place. »

L’amour de l’autre ne suffit pas toujours, faut croire. « C’est un souhait que j’ai pour l’humanité entière et pour chaque personne, mais pour avoir vécu en Inde un an, à l’âge de 17 ans, je sais que je n’ai pas compris grand-chose à leur culture. Je sais que j’ai encore tout à apprendre. Ça n’empêche pas de tendre la main. » Sur l’écran Zoom, il esquisse un sourire.

Ni fuir ni s’enfouir

Ni fuir ni s’enfouir. Réagir fortement, agir concrèteme­nt. C’est la manière de Philémon Cimon. À l’initiative du Panier bleu encouragea­nt l’achat local, il proposait dès avril 2020 un pareil appui pour nos artisans de la chanson : #MusiqueBle­ue. « J’avais envie que la communauté musicale soit concernée. Toute l’industrie, en fait. Ça s’est plus ou moins passé… »

L’enthousias­me des premiers jours, comprend-on, ne s’est pas traduit en solidarité durable. « Très rapidement, j’ai constaté que la définition de ce qui était bleu devenait un peu réductrice. Pour moi, il fallait soutenir tout autant les cultures autochtone­s de chez nous. Toutes les musiques d’ici. » Fallait tenter le coup pour s’en

La pandémie nous a amenés dans plus de solitude, donc moins de questionne­ments sur ce qu’on a l’air, vu que de toute façon personne ne nous voyait. Ça a donné aussi moins de censure personnell­e, sur tout ce que qu’on s’empêche généraleme­nt de faire ou de dire. Le rapport à la mort, je ne l’ai pas évité du tout, je le vivais au CHSLD. Je ne me suis caché d’aucune façon.

PHILÉMON CIMON

rendre compte. « C’est le même type de désir qui m’a amené à travailler comme aide service dans un CHSLD. L’impulsion de faire quelque chose. Le besoin de bouger. Et là encore, ça m’a grandement aidé : je n’avais jamais compris avant comment la vie et la mort se tiennent côte à côte. Et comment il y a toujours, toujours de l’amour. »

La trépidante chanson J’aime trop

la vie, bijou d’ironie pas féroce, le dit parfaiteme­nt : « Si j’accepte ma mort / Ça va être facile / D’être non violent / Ça s’fait tout seul / Par contre ça m’fait peur / Parc’que ça veut dire / Que j’peux mourir / N’importe quand / Pis j’ai pas envie d’mourir tout suite ». Tout l’album se meut ainsi en équilibre instable sur les routes parfois à pic de l’humain, ses peurs, ses prétention­s, sa lâcheté, sa bravoure, sa quête identitair­e, ses contradict­ions et ses paradoxes. Les

loups-là, valse country, décrit à la Richard Desjardins le « guet-apens au matin » des loups humains à l’affût des « grands loups gentils si tu les déranges pas ».

Enregistré sur rubans en prise directe avec les Philippe Brault, Adèle Trottier, Zoé Dumais, David Payant, Jon Arseneau, Nicolas Basque et Guido Del Fabbro — « j’envoyais une vidéo de moi la veille jouant une couple de chansons, et une fois en studio, ça prenait généraleme­nt une prise ou deux… pas un processus compliqué » —, Philémon Cimon ne s’est pas posé trop de questions. Il avait bien trop à faire. « J’avais écrit un paquet de chansons en octobre 2020, ça arrêtait pas de sortir, et j’avais juste envie de les jouer avec d’autres… »

La pandémie, zone franche

Pas le temps de se regarder écrire ni se regarder jouer. Au-delà de petits rajustemen­ts formels, un refrain replacé, quelques mots mieux rimés, c’est tel quel. Versions en groupe, sans beaucoup plus de vernis que les maquettes guitare-voix. Pensez Félix, ou Dylan première époque : de la douceur qui frotte un peu l’oreille. Philémon en folksinger pur, avec un brin de pop dans les changement­s d’accords. Et la pleine liberté dans le verbe.

« La pandémie nous a amenés dans plus de solitude, donc moins de questionne­ments sur ce qu’on a l’air, vu que de toute façon personne ne nous voyait. Ça a donné aussi moins de censure personnell­e, sur tout ce que qu’on s’empêche généraleme­nt de faire ou de dire. Le rapport à la mort, je ne l’ai pas évité du tout, je le vivais au CHSLD. Je ne me suis caché d’aucune façon. J’ai assumé plus naturellem­ent ma façon de m’exprimer, mon parler de gars de Charlevoix, je n’essayais pas d’avoir l’air plus intelligen­t que je ne le suis. »

« C’est devenu beaucoup plus clair de distinguer les chansons senties de celles où je donnais le change. Ça me permet de dire que L’amour est probableme­nt le premier de mes albums où tout, tout, tout est senti. C’est pas l’ego, le moteur. C’est juste le désir de dire vrai. Ressentir, et transposer. »

Cela, c’est le cas de le dire, se sent. La lettre chantée de Philémon Cimon au premier ministre François Legault, qui clôt l’album (« un mélange du

Déserteur de Vian et de La maladie d’amour de Sardou », précise l’auteurcomp­ositeur en toute candeur), ne l’envoie pas dire : « Tout ça est ent’ vos mains / Mais grouillez-vous l’bécyque / On est à fin du cycle / J’attendrai pas demain ».

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR L’amour de l’autre ne suffit pas toujours, faut croire. « C’est un souhait que j’ai pour l’humanité entière et pour chaque personne, mais pour avoir vécu en Inde un an, à l’âge de 17 ans, je sais que je n’ai pas compris grand-chose à leur culture. Je sais que j’ai encore tout à apprendre. Ça n’empêche pas de tendre la main. »
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L’amour Philémon Cimon, indépendan­t

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