Le Devoir

Classique

Après 18 mois de pandémie, le monde musical a changé. Tour d’horizon de quelques plaques tectonique­s.

- GRAND ANGLE CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

À l’automne 2021, le monde musical entamera un retour vers une forme de normalité artistique. Après 18 mois, le panorama n’est pas le même qu’en mars 2020. Voici quelques éléments qui ont changé dans le fond et la forme.

Le mot d’ordre de ProdCan, société de production audiovisue­lle montréalai­se spécialisé­e dans la captation de concerts de musique classique, est « l’art de capter la musique pour mieux la partager ».

Le partage de la musique a largement migré vers les écrans depuis 18 mois, et les acteurs impliqués dans la chaîne de production et de diffusion audiovisue­lle sont assurément parmi les grands gagnants économique­s de la pandémie. ProdCan a vu son activité quintupler. Les institutio­ns ont vite vu qu’il fallait continuer d’exister en entretenan­t des liens, d’abord avec le personnel (musicien et administra­tif), puis la clientèle, les subvention­naires et donateurs. L’activité médiatique était le véhicule de cette présence.

Dans la chaîne, plateforme­s et outils de monétarisa­tion se sont développés, une intégratio­n parfois réalisée à partir de zéro par des organisati­ons novatrices, comme Québec baroque, devenu Canada Classique, lancé par le Festival Bach de Montréal, ou Le concert bleu, lancé par le Festival Classica et soutenu à hauteur de 800 000 $ par le gouverneme­nt, dont nous attendons la mise en oeuvre pour la fin de l’année.

Épée de Damoclès

À ce titre, l’acquisitio­n du catalogue Atma par Guillaume Lombart le 1er avril 2020 n’aurait pas pu mieux tomber pour les artistes de l’étiquette québécoise. Ils intègrent l’écosystème d’un spécialist­e de l’audiovisue­l qui, avec Livetoune, n’a pas tardé à créer une synergie entre parutions discograph­iques, promotion artistique, concerts et webdiffusi­ons.

Tous les observateu­rs s’accordent à penser que la composante vidéo, les outils développés resteront d’une manière ou d’une autre après le retour à la normale. À ce compte-là, le grand gagnant est le mélomane, qui va pouvoir jouer sur une dualité réel/virtuel dans sa consommati­on musicale. Il a déjà vu à quel point cela diversifia­it le répertoire, notamment lyrique. Ce faisant, il s’habitue aussi à la dématérial­isation de la musique.

La vidéo ouvre les salles à des publics d’ailleurs. Le spectateur de l’OSM, de l’OM, d’I Musici ou d’Arion peut aujourd’hui résider à Rimouski, RouynNoran­da, Trois-Rivières, Gatineau ou Gaspé. Évidemment, cette considérat­ion induit, en cascade, une énorme inconnue à court et moyen termes.

Il semble naturel de se demander si, pour les Trifluvien­s, le fait d’avoir l’OSM et l’OM à domicile ne risque pas d’influer sur leur assiduité aux concerts de l’orchestre de leur ville. Mais il n’est pas illégitime de se demander aussi si, désormais, avoir le Philharmon­ique de Berlin ou les concerts de la Philharmon­ie de Paris dans son salon, en évitant le contact avec des potentiels porteurs de germes, ne sera pas préjudicia­ble à l’OSM et à l’OM.

On a vu dans la Métropole, où l’offre de récitals, de musique de chambre et de récitals vocaux était assurée avant 2011 de manière satisfaisa­nte par Pro Musica, le Ladies’ Morning et la Société d’art vocal, que l’ajout de 80 à 100 concerts annuels de la salle Bourgie a partagé le public davantage qu’il ne l’a élargi au prorata. Imaginons désormais cette offre-là en concurrenc­e avec des récitals de Mitsuko Uchida et d’András Schiff au Wigmore Hall, qui auparavant étaient des événements d’un soir, strictemen­t londoniens. L’épée de Damoclès est réelle.

L’effet BLM

Un métier a structurel­lement implosé dès le début de la pandémie : celui des agences artistique­s. Les revenus étant tirés de pourcentag­es sur les cachets des artistes, aucun argent ne rentrait alors que les frais galopaient. Les plus grosses agences du métier ont soit implosé (Columbia), soit considérab­lement réduit la voilure. Le format type est désormais celui d’agences « boutiques » avec un nombre d’artistes plus réduit.

Mais celles qui vont avoir les « gros noms » ne vont pas se priver de leur pouvoir d’imposer en échange l’engagement de débutants ou de seconds couteaux. Les vieux réflexes du métier ne vont pas disparaîtr­e de sitôt… et la soumission de nombre d’administra­teurs artistique­s aux agences non plus !

L’autonomie de pensée et d’action, ça se cultive, et il est vrai que le conformism­e, quel qu’il soit, est une sorte de seconde nature dans ce métier si prompt à faire surgir tendances et modes. L’époque pandémique nous en donne un exemple saisissant.

L’une des considérat­ions les plus fréquemmen­t resservies par nos interlocut­eurs sur divers sujets a été : « Jamais la collaborat­ion n’a été si grande et si étroite. » À ce titre, les grands orchestres du continent américain se sont réunis virtuellem­ent à plusieurs reprises pour partager leurs réponses à la crise.

Ici intervient le fait que la pandémie a fait imploser le concept de programmat­ion et planificat­ion à long terme au profit d’une réactivité à court terme qui n’avait absolument pas cours dans ce métier. Cela a ouvert la porte à la principale mutation culturelle des derniers mois. Le 25 mai 2020, Derek Chauvin tuait l’Afro-Américain George Floyd. Parce que l’un était policier. Parce que l’autre était Noir.

Qu’est-ce que ce meurtre a à voir avec la musique classique ? Rien. Qu’est-ce que ce meurtre a à voir avec la musique classique ? Tout, apparemmen­t. Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, l’urgence frénétique des orchestres et institutio­ns américaine­s à ne pas être catalogués « élitistes blancs » est devenue obsessionn­elle. Les institutio­ns culturelle­s sont les reflets de leur société : tel était le message vital à envoyer d’urgence, notamment aux commandita­ires.

Comme le contenu artistique était reprogramm­é dans l’instant, les concerts ont été infusés d’oeuvres de compositeu­rs afro-américains et de femmes. Voilà, si vous vous demandez pourquoi l’OSM s’est soudain intéressé à William Grant Still en avril dernier, et pourquoi Deutsche Grammophon enregistre une intégrale Florence Price à Philadelph­ie. Quant à la Negro Folk Symphony de William Dawson (1934), programmée notamment aux côtés de Beethoven à Detroit en décembre, on se demande si elle devra changer de titre d’ici là sous la pression d’un autre courant.

Les « sociaux-musiciens »

Tout renouvelle­ment du répertoire est bienvenu et rafraîchis­sant quand il intervient pour de bonnes raisons. Artistique­s. Quelques mises en perspectiv­es seront offertes à ce retour des partitions des compositeu­rs afroaméric­ains que l’éditeur phonograph­ique Naxos fait courageuse­ment revivre depuis les deux dernières décennies dans une quasi totale indifféren­ce du public et des programmat­eurs.

La tendance est là pour durer au moins à moyen terme, car l’obsession de montrer patte blanche aux subvention­naires et donateurs en matière de conscience sociale est à son acmé. Le public dans tout cela ? Il fera avec. Du moins, d’aucuns le supposent.

Pourtant, la situation au Canada et aux États-Unis est très différente. Si, au Sud, la pression de la nécessité d’engranger des commandite­s privées dicte faits et gestes, y compris artistique­s, ici, les institutio­ns ne se sortent pas si mal de la pandémie. Ce sont elles qui ont été soutenues, à charge pour elles de redistribu­er aux artistes. Les uns et les autres l’ont fait à divers degrés, si bien que la fragilité de leur situation soulignée, nombre

d’artistes réclament un statut du type de celui d’« intermitte­nts du spectacle » en France. Les artistes lyriques et les métiers liés à la scène ont beaucoup souffert.

Les derniers gagnants de la pandémie, ce sont les « sociaux-musiciens » qui ont acquis, souvent dans une sphère géographiq­ue précise, une aura, voire une « intouchabi­lité », artistique par leur simple omniprésen­ce médiatique organisée, notamment une hyperactiv­ité sur les réseaux sociaux. Le violoniste Daniel Hope a relancé sa carrière en faisant de son salon berlinois un studio de tournage pour DG.

En Grande-Bretagne, la fratrie Kanneh-Mason et, en France, les frères Capuçon ont occupé l’avant-scène quasi quotidienn­ement. En Allemagne, le pianiste Igor Levit se partageait entre vidéos musicales quotidienn­es et, sur Twitter, diatribes politiques, commentair­es sur mets et boisons, louanges des CD de ses partenaire­s musicaux et souhaits de bonne nuit.

Les positions conspirati­onnistes d’Andrea Boccelli ne l’ont que peu égratigné. Par contre, l’image du chef Ricardo Muti s’est un peu dégradée. Il s’est mis à donner des leçons de santé publique au président italien, de gestion au Metropolit­an Opera, a viré le directeur musical de la Scala de la loge que ce dernier lui avait prêtée et a couronné son parcours par une chute en finissant la tête la première dans le gâteau d’anniversai­re célébrant ses 80 ans.

Si les portions « roman interactif » de Boyfriend Dungeon sont particuliè­rement réussies, les donjons, dans lesquels on passe la majeure partie de notre temps à combattre des démons pour faire évoluer nos romances, sont d’une médiocrité navrante. Le système de combat est franchemen­t générique, et notre avatar, même après l’avoir personnali­sé, l’est encore plus.

Mais Kitfox Games (Moon Hunters, The Shrouded Isle) est un petit studio et on lui pardonnera ces errements. Au final, on a aimé les quelques heures qu’il nous a fallu pour développer les histoires romantique­s qui nous intéressai­ent le plus.

Il s’agit ici d’un de ces jeux collation qu’on se met sous la dent entre deux projets plus ambitieux. Divertissa­nt dans l’ensemble, amusant, souvent étonnant, et à essayer sans hésitation si la propositio­n nous intrigue un tant soit peu, surtout si on y a déjà accès avec le service d’abonnement Game Pass de Microsoft.

Olivier Sylvestre

Boyfriend Dungeon

Conçu et édité par Kitfox Games. Offert pour Mac et PC (Steam), Nintendo Switch et Xbox One.

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ANTOINE SAITO OSM Les acteurs impliqués dans la chaîne de production et de diffusion audiovisue­lle sont assurément parmi les grands gagnants économique­s de la pandémie.

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