Laure Morali au pays du rêve et des Innus
La poète publie les carnets de bord de son séjour dans le Nutshimit, l’intérieur des terres
« Plus nous roulons vers le nord, plus mon vertige grandit », annonce Laure Morali dans les premières pages d’En
suivant Shimun, le journal de sa relation privilégiée avec le peuple innu, ayant fleuri au Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord.
Bretonne d’origine, installée au Québec depuis le début des années 1990, Laure Morali compte parmi les plus précieuses amies de la poésie autochtone. C’est elle qui a lancé en 2008, alors que les littératures des Premières Nations suscitaient encore largement l’indifférence, les correspondances entre des auteurs allochtones et autochtones regroupées dans
Aimititau ! Parlons-nous ! (Mémoire d’encrier). Joséphine Bacon a souvent confié en entrevue que c’est Laure Morali qui a d’abord reconnu la poète en elle et qui a mis de l’ordre dans les notes pêle-mêle qu’elle accumulait depuis plusieurs années. Elles publiaient ensemble en avril dernier Nin
auass – Moi l’enfant, une anthologie de poèmes écrits par des enfants lors d’ateliers qu’elles ont donnés dans les dix communautés innues du Québec.
Mais comment cette femme née de l’autre côté de l’océan a-t-elle un jour été habitée par le souverain désir d’aller voir de ses propres yeux à quoi ressemblait le Nord ainsi que ceux qui le peuplent ? C’est l’histoire d’une fascination qu’elle-même peine à s’expliquer, une histoire d’instinct plus fort que le vent, que raconte Laure Morali dans En suivant Shimun, un carnet de bord de ses pérégrinations au coeur de la péninsule Québec-Labrador.
En compagnie de Penassin et de Nuenau, et de leur père Shimun, elle s’enfoncera ainsi pendant trois mois dans le Nutshimit, un mot qui désigne en innu-aimun l’intérieur des terres. Elle y apprendra à chasser, à dépecer le vison et la martre, à lire la glace parfois précaire sur laquelle elle avance, à recouvrir le sol de la tente de branches de sapin. Elle apprendra surtout, comme le dit Shimun, qu’« [i]l y a des choses qu’on voit avec les yeux et d’autres avec notre âme », que la frontière entre le monde des rêves et le nôtre est moins étanche que ne le conçoit la pensée occidentale.
« Je ne savais pas que le bonheur était un vieux poêle de tôle, une bougie allumée, une paire de raquettes, une pagaie, une toile », écrit Laure Morali en novembre 1998 à propos de sa découverte de ce territoire ancestral. Une découverte qui, étrangement, magnifiquement, s’apparente aussi beaucoup à des retrouvailles.
Dans une langue qui emprunte sa poésie aux paysages que son autrice traverse, ce récit recèle donc une double leçon de générosité, en ce qu’il met en lumière le sens de l’accueil des Innus, mais aussi en ce qu’il témoigne de la gratitude infinie de Laure Morali pour celles et ceux qui l’ont révélée à elle-même. Chronique d’un dialogue entre une femme venue d’ailleurs et un pays où « le silence est une prière qui s’étale haut et loin », En suivant
Shimun rappelle que, contrairement à ce que craignent certains esprits chagrins, il est encore possible d’écrire à propos de l’autre, pour peu qu’on le fasse avec respect et humilité. Pour peu que l’on ne fétichise pas son altérité.
La proverbiale réconciliation ne pourra évidemment pas passer que par des gestes individuels, mais En
suivant Shimun encapsule ce à quoi une authentique relation — franche, égalitaire — entre Autochtones et allochtones pourrait ressembler.