Abîmes masculins
Sébastien Lozeau s’est inspiré de sa vie pour Live Story, chronique d’un couple, où un homme se cherche entre deux relations
On
rencontre Alex par l’entremise d’une narration à la première personne. L’oeil grand ouvert, filmé en très gros plan, il se remémore sa rupture récente. Or, apprend-on rapidement au gré de retours en arrière à l’intérieur de retours en arrière, cette séparation faisait suite à une autre, encore plus pénible. Freiné dans son épanouissement par une détresse larvée qui se traduit volontiers par des comportements toxiques, Alex n’est de fait pas facile à aimer. Mais il est prêt à se remettre en question. Pour Live Story, chronique
d’un couple, ou l’introspection d’un homme commentée par ce dernier, Jean-Sébastien Lozeau s’est basé sur ses propres expériences.
« Le point de départ, c’est mon deuxième livre, Ces jours avant le dernier, explique le réalisateur. Comme tous les cinéastes, je rêvais de réaliser mon premier long métrage, mais ce n’est jamais facile d’aller chercher du financement, et je trouvais que cette histoire-là était propice à un film qui se tournerait de façon simple. Je tiens à dire que c’est un tour de force, ce film : on n’a eu aucun financement institutionnel, mais on l’a fait quand même. Le film existe, et là il est au festival Les Percéides, ce qui constitue une belle victoire. »
Au sujet de ce roman de nature autobiographique, Jean-Sébastien Lozeau précise : « Je me suis beaucoup inspiré d’un moment sombre de ma vie. J’avais été très affecté par l’éclatement de ma famille. Ça a entraîné chez moi une réflexion profonde sur mes zones d’ombre, sur mes abîmes… »
Au coeur des préoccupations de l’auteur : un désir, un besoin d’explorer une psyché masculine qui souffre en silence, avec à la clé des effets délétères tant sur le protagoniste que sur ses partenaires. « Je trouvais important de parler des émotions masculines. Je sais que c’est cliché ce que je vais dire, mais souvent, on ne parle pas de nos zones d’ombre ni de nos émotions profondes, que ce soit nos tristesses ou nos pulsions. »
Flot de pensées
En filigrane des questionnements de Jean-Sébastien Lozeau, des considérations sociales se firent graduellement jour. D’ailleurs, c’est sur ce front que roman et film se distinguent le plus l’un de l’autre, estime le réalisateur.
Ainsi, au cours de la scénarisation, la dimension sociologique s’imposa sous un angle qui n’était pas dans le roman : celui des réseaux sociaux. Spécifiquement : la manière dont ceux-ci peuvent investir, voire contaminer, l’intimité d’un couple.
Dans le film, lors de la séquence d’ouverture, on assiste ainsi à un « Facebook Live » tenu par Alex alors que son amoureuse Monica (Marilyn Bastien) lui intime de ne pas la filmer, avant de renoncer. Le moment provoque à dessein un malaise et annonce l’explosion imminente du couple.
« Les gens mettent à présent volontiers en scène des moments intimes de leurs vies, sans filtre… Il y a un côté pervers, presque pornographique je trouve, dans l’utilisation qu’on peut faire des réseaux sociaux. »
C’est après cet épisode initial, où le virtuel et le réel s’entrechoquent, qu’Alex s’enfuit à pied sur une route de campagne. En un flot de pensées, il se remémore la relation qu’il vient de quitter, mais la précédente aussi (auprès de Marie-Anne Alepin).
La version cinématographique d’Alex, sorte d’alter ego de l’auteur passé au filtre de la fiction, ou enfin de l’autofiction, naquit donc de l’union de ces deux préoccupations : déroute masculine et nouvelles technologies. L’arrivée de l’acteur Sébastien Ricard dans le projet aura bien sûr eu une influence également.
« Le personnage a évolué. Comme le film traite à plein d’égards de mon intimité profonde, j’ai eu de bonnes conversations avec les trois interprètes, mais surtout avec Seb. C’est un de mes très bons amis, et j’ai été transporté de joie quand il m’a dit qu’il voulait faire le film. J’ai d’emblée mis cartes sur table avec lui. Je lui ai expliqué ce qui avait inspiré le livre et le film, c’est-à-dire ce moment sombre de mon existence, ainsi que la douleur que j’ai alors vécue. »
De l’avis de Jean-Sébastien Lozeau, le personnage du film a « plus de coffre » — ses mots — que celui du roman. « Dans le livre, il était plus introspectif, alors que dans le film, il est plus tridimensionnel ; il a différentes strates. C’est un père qui tout d’un coup va moins voir son fils : juste ça, ça bouleverse. C’est aussi un homme qui a des pulsions caractérielles, des pulsions sexuelles… Le personnage d’Alex camoufle souvent ses peines et ses douleurs derrière le sexe. Beaucoup d’hommes font ça, je pense, et je trouvais intéressant de le montrer. »
Un heureux paradoxe
Jean-Sébastien Lozeau l’évoquait,
Live Story, chronique d’un couple a été produit à la fortune du pot et tourné à l’arraché. Ce que le film n’avait pas en moyens, il l’avait en revanche en liberté.
« On s’est permis toutes sortes de fantaisies, on s’est donné de la latitude pour créer. J’étais par contre très préparé. On avait onze jours de tournage, ce qui est infime, et si je n’avais pas su où on s’en allait, ç’aurait été catastrophique. Mais comme je ne prône pas de système hiérarchique sur un plateau, j’étais très ouvert aux idées d’autrui. On était en plus une toute petite équipe : il y avait une complicité, raison de plus pour tenir compte des suggestions de l’équipe. »
Avec le recul, Jean-Sébastien Lozeau ne regrette pas d’avoir plongé dans ses « zones d’ombre et ses abîmes », au contraire. « C’est paradoxal, parce que, autant ce qui a inspiré ce récit-là est douloureux, autant le film me rend fier et heureux. »
Le film Live Story, chronique d’un couple prend l’affiche le 27 août.