Le Devoir

Pratiquer des ouvertures au Festival du Jamais Lu

La soirée de clôture du 20e Festival du Jamais Lu devrait élargir nos horizons

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

La metteuse en scène Gabrielle Côté avoue candidemen­t qu’elle ne connaissai­t pas la plupart des artistes de la soirée dont on lui a confié la direction : « C’est en grande partie pour cette raison que j’ai accepté ! La mission consistait à dégager un fil conducteur entre les prises de paroles, ce qui impliquait d’aller à la rencontre d’êtres humains passionnan­ts, je ne pouvais certaineme­nt pas refuser. »

Ainsi, en guise de conclusion du 20e Festival du Jamais Lu, qui bat son plein Aux Écuries depuis le 19 août, on a choisi de présenter le 28 août une Soirée des ouvertures qui réunira une dizaine de jeunes artistes, pour la plupart accompagné­s d’une personne avec qui ils et elles veulent « penser la suite du monde ».

Pour Étienne Lou, qui prend part à la soirée de clôture tout en faisant partie de la cellule artistique du Festival avec Fanny Brossard-Charbonnea­u, Marcelle Dubois, Bibish Marie Louise Mumbu et Anne-Marie Olivier, il s’agissait d’offrir la tribune à la nouvelle génération : « On voulait que les jeunes prennent d’assaut la scène, que le Jamais Lu renouvelle son contrat avec la jeunesse. »

Une manière d’ouvrir des portes sur l’avenir ? « Certaineme­nt, reconnaît le comédien. On n’avait surtout pas le goût de clôturer ou de fermer quoi que ce soit, pas le goût d’imposer des contrainte­s. Disons qu’on a tous été suffisamme­nt enfermés ces derniers temps. »

Jeter des ponts

Gabrielle Côté, qui a déjà cosigné la mise en scène de deux spectacles poétiques célébrés, ATTENTAT et Je me soulève, a cherché une fois de plus à jeter des ponts entre des fragments éclectique­s : « J’ai voulu que cette soirée, dont le sous-titre est “Tribune solennelle pour mondes nouveaux”, contribue à recréer le tissu social, qu’elle permette de donner naissance à des moments de communion, de symbiose, à des retrouvail­les, des rencontres qui nous ont cruellemen­t manqué depuis le début de la pandémie. On a besoin d’être ensemble, on a soif de ça. »

On assure que chaque prise de parole exprime le désir de rétablir un lien. « Un lien avec le public, explique Côté, mais aussi avec un individu, une entité, ou encore un objet auquel l’artiste s’adresse directemen­t. Et devant témoins. Bien entendu, parce que durant la dernière année, les deuils ont été nombreux, le sujet remonte souvent à la surface, mais il est bien davantage question des espoirs que l’avenir suscite, de quelques sources de lumière qui devraient nous guider pour la suite. »

Pour Kijâtai-Alexandra VeilletteC­heezo, originaire de Val-d’Or et ayant comme parents une mère allochtone et un père autochtone de la nation anichinabé­e, l’occasion était trop belle de s’adresser à un être cher : « Pour guérir des blessures du passé, je pense qu’il est essentiel d’aller vers l’avenir. C’est pourquoi j’ai

Soirée des ouvertures Tribune solennelle pour mondes nouveaux

Mise en scène : Gabrielle Côté. Une production du Festival du Jamais Lu. Aux Écuries, le 28 août : en présentiel dans L’Arène, en vidéo diffusion dans le LAB2M et en web diffusion sur le site du Jamais Lu. décidé de convier mon père, un survivant des pensionnat­s âgé de 72 ans, à prendre part à cette expérience avec moi. »

Alors que son père n’a pas été très présent dans son passé, l’artiste et activiste souhaite qu’il le soit maintenant et dans son futur : « J’ai tant de questions à lui poser, notamment sur l’anishnabem­owin, une langue vivante, non genrée, tellement animée, qui décrit si bien le territoire et les émotions. Mon prénom, Kijâtai, qui signifie une belle journée ensoleillé­e, c’est mon père qui l’a choisi. Je sais que c’est très personnel ce que je m’apprête à dévoiler, mais je trouve qu’il y a une certaine beauté dans le fait d’offrir sa vulnérabil­ité. »

Sur tous les tons

Le rôle que Gabrielle Côté a choisi de s’attribuer dans l’aventure, c’est un peu celui d’une journalist­e. « J’ai vite ressenti le besoin de donner au public un accès au processus des artistes, à leurs démarches, à leurs intentions, à leurs conviction­s et à leurs doutes. C’est pourquoi j’ai réalisé avec eux de brèves entrevues qui seront diffusées dans la salle et permettron­t au public d’entrer dans les coulisses de la création, de voir d’où elle provient. »

Karl-Henry Brezault, Maxime Brillon, Irdens Exantus, Carolanne Foucher, Charles-Aubey Houde, Nasim Lootij, Solène Paré et Zoé Tremblay-Bianco ont été notamment interrogés par la metteuse en scène à propos du sacré. « Chacun a une définition fort différente de ce qui est sacré, explique-t-elle. Retrouver la scène, après en avoir été privé, est pour plusieurs un geste sacré, mais la soirée comporte plusieurs incarnatio­ns du sacré, à commencer par une véritable cérémonie vaudoue. »

On nous promet du contraste : des numéros verbeux et d’autres muets, des moments très graves et d’autres complèteme­nt loufoques, des réflexions bien concrètes et d’autres qu’il vaut mieux recevoir au second degré, des prises de parole sur les sujets les plus divers, de la dépression à la transident­ité en passant par les vertus du cannabis. En somme, de quoi rejoindre le plus grand nombre.

« Ce spectacle, explique Étienne Lou, c’est un geste qu’on pose pour demain, dans l’espoir de contribuer à un changement. Le jour du lancement du Festival, j’ai ressenti une vive émotion en voyant autant de gens de différente­s communauté­s culturelle­s réunis dans un théâtre. C’était magnifique, tellement représenta­tif de la richesse de notre tissu social, porteur de beaucoup d’espoir. »

Retrouver la scène, après en avoir été privé, est pour plusieurs un geste sacré, mais la soirée comporte plusieurs incarnatio­ns du sacré, à commencer par une véritable cérémonie vaudoue GABRIELLE CÔTÉ »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Kijatai-Alexandra Veillette-Cheezo (à gauche), Gabrielle Cote et Étienne Lou veulent recréer le tissu social.

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