Le Devoir

Décolonise­r l’histoire, vraiment ?

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Depuis le 10 août, Télé-Québec propose une websérie documentai­re qu’elle a cru judicieux d’appeler… Décolonise­r l’histoire.

Le visionneme­nt de la première saison me permet de constater qu’encore une fois, on essaie de déguiser — contre son gré — la pratique historienn­e en un exercice à la portée de tous, une manoeuvre qui s’exécuterai­t sans trop d’antécédent­s. Sans doute inspirés par le succès phénoménal du concept des capsules historique­s, les artisans de cette toute nouvelle websérie optent pour une mise en scène coup-de-poing, des raisonneme­nts quelques fois grossiers et un humour beaucoup plus près de la maigre compensati­on que du bidonnant. Je note que cet humour a au moins le mérite de nous rappeler que le divertisse­ment se faufile de plus en plus sous la robe de la réflexion.

De plus, le visionneme­nt des épisodes m’autorise à remettre officielle­ment en question ce titre (Décolonise­r l’histoire). Si les artisans de cette émission ont pour vocation de « décolonise­r » l’histoire, cela signifiera­it alors que le discours sur le passé est en partie « colonisé », n’est-ce pas ? Au fil des épisodes, il semblerait que l’une des méthodes employées pour accomplir cette mission hautement salvatrice consistera­it tout simplement à tendre le micro de l’animateur à de jeunes Québécois issus des communauté­s ethniques justement présentées à l’écran. La production tenterait-elle alors de nous les présenter comme les régulateur­s tant attendus venus « décolonise­r » l’ensemble des travaux du passé — et toujours en chantier — portant sur l’histoire du Québec, et nécessaire­ment habités d’un esprit colonisate­ur ? Si jamais tel était le cas, j’inviterais les producteur­s de la série à plonger dans l’oeuvre des nombreux historiens québécois qui ont consacré des dizaines d’années de labeur à retracer les pas des différente­s communauté­s d’appartenan­ce présentes sur le territoire (Anctil, Juifs/ Helly, Chinois/Linteau, Français / Pâquet, Belges/Beaulieu, Autochtone­s, etc.). Les militants, qui inondent de plus en plus les ondes pourraient alors découvrir que bien avant eux, des universita­ires ont accompli un travail colossal, un travail qui a consisté à documenter exactement ce qu’ils présentent comme une primeur sur les ondes de Télé-Québec ! Ils pourraient ensuite nous offrir pour une fois le spectacle de leur modeste silence.

L’histoire au Québec est une science qui fructifie, qui s’interroge et qui se pratique de façon extrêmemen­t rigoureuse. C’est évident qu’il est beaucoup plus facile dans le monde d’aujourd’hui de lui prêter de mauvaises intentions, comme celle d’être « colonisée ».

Seulement, on peut, avant de propager des faussetés de la sorte, simplement s’y intéresser. Y rencontrer peut-être, comme moi, la promesse patiente d’un pays. Cela fait moins de bruit, c’est évident. Mais cela détend. Rémi Villemure, auteur et étudiant à la maîtrise en histoire

Montréal, le 22 août 2021

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