L’obsession antichinoise d’Erin O’Toole
Jocelyn Coulon est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il publiera le 24 août un ouvrage intitulé Le Canada à la recherche d’une identité internationale.
La montée de la Chine depuis une vingtaine d’années a conduit à une transformation majeure des rapports internationaux. Pékin s’impose avec son argent et sa diplomatie. Certains, principalement dans les pays en développement, mais d’autres aussi en Europe de l’Est, y voient une bénédiction, car ils profitent d’une manne économique que l’Ouest semble incapable de leur offrir.
D’autres, en Amérique du Nord, y voient un danger pour la démocratie et l’ordre mondial. Donald Trump a sonné l’alarme et Joe Biden cherche une façon de brider les ambitions de Pékin. Erin O’Toole veut entrer dans la danse, mais le discours qu’il tient risque fort de repousser les Américains comme les alliés.
Le chef conservateur s’est trouvé un ennemi sur la scène internationale et n’a pas l’intention de le lâcher. Du moins, c’est ce qui ressort du programme de politique étrangère et de défense du Parti conservateur publié la semaine dernière.
Dans la vingtaine de pages portant sur les relations d’un futur gouvernement conservateur avec le reste du monde, une trentaine de références sont consacrées à la Chine, au Parti communiste chinois, à la population chinoise, au combat contre la « tyrannie » chinoise.
Le Parti conservateur n’y va pas par quatre chemins. Après avoir rappelé qu’au XXe siècle, « le Canada était un fier chef de file des nations confrontant le mal et la tyrannie partout où ils existaient », ce qui est historiquement faux, les conservateurs promettent d’être les champions de la défense des droits et libertés. Et pour eux, ce combat passe par une confrontation directe avec le nouvel empire du mal.
Le programme détaille les mesures qui seront mises en oeuvre. Tous les domaines de la relation avec la Chine sont visés : le commerce, l’économie, les chaînes d’approvisionnement, la technologie, l’éducation, la sécurité, le renseignement. Partout, il s’agira de limiter les contacts sinon de rompre avec la Chine. Il sera même fait interdiction pendant cinq ans à tout ancien premier ministre, ministre, sous-ministre et ambassadeur « de travailler pour ou d’avoir des contrats avec le gouvernement chinois ou une entité contrôlée par le gouvernement chinois ».
Afin de pallier la disparition à terme du marché chinois, les conservateurs tablent sur le développement d’accords avec de nouveaux pays libres. Mais lesquels ? Le Canada a déjà de fructueuses relations commerciales avec tous les régimes démocratiques. Les conservateurs pensent à une relation plus étroite avec l’axe Australie–Nouvelle-Zélande–Royaume-Uni, certes, mais cela reste limité.
Où, au juste, trouver de nouveaux marchés ? Eh bien, en lisant avec attention le programme, on constate qu’un futur gouvernement conservateur développera ses relations avec de nombreux régimes autoritaires ou dictatoriaux : le Pakistan, premier soutien des talibans, l’Égypte où 60 000 prisonniers politiques croupissent en prison, l’Algérie dont le gouvernement réprime l’opposition, l’Inde où les droits des musulmans sont bafoués ; les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est dont au moins un, les Philippines, est dirigé par un tueur, la majorité des autres par des partis communistes ou des partis à poigne, et qui viennent de reconnaître de facto la junte au Myanmar.
Mesure du monde
De cette charge antichinoise, on a la nette impression que les conservateurs n’ont pas pris la mesure du monde. Enfermés dans un discours moralisateur (ou carrément électoraliste), ils n’arrivent pas à saisir la complexité des relations internationales actuelles et futures. Et c’est ici que leur campagne antichinoise risque de frapper un mur, tant chez les Européens que chez les Américains.
Un futur premier ministre O’Toole va se prendre les pieds dans le grand tapis de la géopolitique mondiale. Il ne trouvera aucun allié sur le continent européen, pas même au Royaume-Uni. Le gouvernement conservateur de Boris Johnson a fait paraître récemment son énoncé de politique étrangère où la rhétorique de guerre froide envers la Chine n’a pas sa place.
Au contraire, Pékin est vu autant comme un partenaire qu’un défi systémique. Toutes les occasions d’affaires seront acceptées pour autant qu’elles servent les intérêts britanniques. Même refrain à Paris et à Berlin. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Union européenne. Il n’est donc pas question d’hystériser une relation avec Pékin déjà suffisamment compliquée.
À Washington, O’Toole ne trouvera l’oreille que de quelques républicains. Biden, un temps tenté par la mise en place d’une coalition antichinoise, a compris le message venant d’Europe, mais aussi des Asiatiques : pas question de nous forcer à choisir entre Washington et Pékin.
Bref, la compétition entre les deux superpuissances ne se fera pas au détriment des autres. Et là où O’Toole propose la rupture, Biden prône le dialogue. À cet égard, il vient de nommer un nouvel ambassadeur à Pékin, Nicholas Burns, un diplomate sophistiqué et habitué des missions difficiles.
Dans ce monde en plein changement où les Américains ne se gênent pas pour larguer leurs alliés (Afghanistan, Irak et, bientôt, l’Ukraine), Erin O’Toole n’a rien de constructif à offrir sur l’enjeu le plus important de ce siècle, la Chine. Il va se sentir bien seul à la tête de sa croisade.
P.-S. — Chers conservateurs, relisezvous avant de publier la version en français de vos politiques. Certaines phrases du programme de politique étrangère sont tout simplement incompréhensibles.
Un futur premier ministre O’Toole va se prendre les pieds dans le grand tapis de la géopolitique mondiale. Il ne trouvera aucun allié sur le continent européen.