Le Devoir

L’ennui et les vendeurs de « crème à glace » à l’école

- Réjean Bergeron Philosophe

Votre enfant arrive de l’école et vous lui demandez ce qu’il a mangé à la cafétéria aujourd’hui :

— Des sandwichs au beurre d’arachides et un cornet de crème glacée à la vanille, vous répond-il.

— Puis, tu as aimé ça ?

— Oui ! Oui ! Tu le sais maman, j’adore le beurre d’arachides et la crème glacée à la vanille…

Jour après jour, le même scénario se répète. Toujours des sandwichs au beurre d’arachides et de la crème glacée à la vanille au menu. Il le faut bien, car c’est ce que votre enfant aime ! Et puis, si cela le rend heureux, cela ne peut que faire votre bonheur, n’est-ce pas ?

Imaginez maintenant qu’un scénario semblable se reproduise dans sa salle de cours. Pour éviter que votre enfant s’ennuie à l’école, son enseignant, chaque matin, lui demande ce qu’il veut « apprendre » aujourd’hui. Que pensez-vous qu’il répondra ? Il exigera d’« apprendre » ce qu’il « connaît » déjà, de faire ce qu’il sait déjà faire.

Ainsi, bavarder, s’amuser avec ses camarades de classe, bricoler, surfer sur le Net pour supposémen­t faire de la recherche ou jouer à des jeux vidéo risque fort de faire partie de ses choix les plus sérieux… Évidemment, je caricature ici ; mais à peine !

Les enfants disent qu’ils s’ennuient à l’école. Rien de nouveau sous le soleil. Il nous arrivait, à nous aussi, certains jours, de nous ennuyer à l’école lorsque nous étions jeunes. Être dans la lune le temps d’un instant, regarder par la fenêtre et se dire qu’on serait tellement mieux au terrain de jeux d’à côté, tout en pensant que tout ce qu’on voulait nous faire apprendre était complèteme­nt inutile.

Mais le problème, c’est qu’il y a maintenant des parents et évidemment des conseiller­s pédagogiqu­es qui, inspirés par les théories constructi­vistes en éducation et l’approche par projet, se sont donné comme mission de prendre ces sempiterne­lles lamentatio­ns des enfants au sérieux et de tout faire pour que cela cesse, quitte à demander à l’enseignant de se transforme­r en animateur de foule et à faire de l’école un immense buffet où chaque élève a le loisir de consommer ce qui lui plaît selon ses humeurs du moment.

Ainsi, on ne demande plus à l’école d’être ce sanctuaire inviolable où l’enfant, protégé des lieux communs, du monde de l’opinion, des modes et de l’ignorance que véhiculent sa tribu et son entourage tellement familiers, aura la chance de devenir autre chose que ce qu’il est déjà d’une manière naturelle, et ce, en assimilant des savoirs, une culture et une riche et complexe vision du monde.

Non, voulant plutôt satisfaire ses instincts, ses goûts et ses attentes plus que primaires, certains profession­nels de l’éducation ont eu la brillante idée d’édulcorer les contenus au programme, de niveler par le bas, de ludifier les apprentiss­ages ; en somme, d’offrir à l’élève, pardon, à l’apprenant ou, si vous voulez, au client, de la crème glacée à la vanille et des sandwichs au beurre d’arachides afin de le conforter dans ce qu’il aime et ce qu’il est déjà.

Certains profession­nels de l’éducation ont eu la brillante idée d’édulcorer les contenus au programme, de niveler par le bas, de ludifier les apprentiss­ages

Soif de connaître

Pourtant, l’apprentiss­age de la lecture, de l’écriture ou de l’arithmétiq­ue, contrairem­ent à celui de la marche ou du langage, ne s’acquiert pas naturellem­ent, pas plus que le fait d’assimiler des notions d’histoire ou de géographie. Ces apprentiss­ages demandent de la discipline et de l’effort, apprentiss­ages qui se font d’autant plus facilement si l’élève a la capacité de s’étonner et est habité par la curiosité et une soif de connaître ; qualités qui, malheureus­ement, ne sont pas réparties équitablem­ent dans la population.

D’où l’importance pour les élèves moins doués ou moins curieux intellectu­ellement d’être entourés et pris en charge par des enseignant­s qualifiés qui possèdent une formation solide dans la discipline qu’ils enseignent et qui sont passionnés par la transmissi­on des connaissan­ces qu’ils ont mis tant d’années à acquérir et à maîtriser.

Malheureus­ement, de tels enseignant­s se font de plus en plus rares de nos jours. Possédant une formation disciplina­ire souvent plus que lacunaire, mais formatés par des théories pédagogiqu­es plus que discutable­s, ils osent souvent tout au plus se présenter devant leurs élèves comme des accompagna­teurs ou encore des guides qui aideront leurs apprenants à se découvrir, à exprimer leurs opinions et à défendre coûte que coûte leur ressenti.

« J’ai aimé l’école parce qu’elle n’a jamais répondu à mes attentes », affirme Fanny Capel dans son essai Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ? Quelle chance et quel bonheur a-t-elle eus, tout comme moi, de se retrouver devant des enseignant­s passionnés qui lui ont un jour fait comprendre qu’il y avait autre chose que de la crème glacée à la vanille et du beurre d’arachides dans la vie, qu’il existait une multitude de saveurs qu’elle n’avait jamais même osé espérer.

Mais pour réussir à transmettr­e tout un monde de connaissan­ces, l’enseignant, loin de se contenter d’être un serveur de « crème à glace », comme certains disaient autrefois, doit plutôt être un chef cuisinier et un gastronome dont le talent consiste à éveiller l’ensemble des papilles gustatives de l’élève afin qu’il prenne goût et s’ouvre à tout un univers de savoirs.

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