All is Well dans le meilleur des mondes avec Fred Everything
Le projet « ambient dansant » du compositeur Frédéric Blais, alias Fred Everything, est en première mondiale à MUTEK
La 22e édition du festival MUTEK débutant mardi sera l’occasion de découvrir ce qui a tenu les compositeurs occupés depuis le début de la pandémie. Confinés à leurs studios, plusieurs ont profité de la pause forcée pour explorer d’autres avenues musicales ; c’est le cas du Montréalais Frédéric Blais, compositeur et DJ reconnu mondialement sous son nom de scène Fred Everything, qui proposera dimanche le nouveau matériel de son projet All is Well réuni sur un album à paraître qui, souhaite-t-il, donnera « envie aux gens de danser sur de la musique ambient ».
Revenu au Québec il y a six ans après un long exil en Californie, Frédéric Blais a tout récemment recommencé à goûter aux plaisirs des foules dansantes à la faveur de l’assouplissement des mesures sanitaires, celles de Calgary, Winnipeg, Montréal (au Piknic Électronik) et de sa ville d’origine, Québec. Un semblant de retour à la normale pour le fondateur du label Lazy Days Recordings, régulièrement invité en tant que DJ à diffuser ses grooves deep house organiques dans les clubs du monde entier.
Pendant les confinements, Blais ne s’est pas tourné les pouces, enfilant les balados, les sessions Lazy Days en direct devant la caméra sur la plateforme Twitch, et réactivant son pseudonyme All is Well. « Un projet que j’ai commencé incognito lorsque j’habitais encore San Francisco » et qui permettait d’explorer une création house purement électronique, avec quelques occasionnels détours par la musique ambient.
Nouvelles avenues
« L’idée était de jouer avec la perception que le public peut avoir à propos d’un artiste établi, disons en milieu de carrière » comme lui. Jouer avec les attentes d’un musicien associé à un type de son ou de style musical, « et avec l’idée de demeurer pertinent » tout en explorant d’autres timbres, d’autres atmosphères, que celles qui ont fait sa réputation — sur le premier EP de All is Well (2014), une des trois chansons porte le titre La valse de la pertinence. « Pendant longtemps, j’ai caché que ça venait de moi. Sur certains EP, mon nom, Frédéric Blais, était écrit, mais dans les communiqués de presse, je ne spécifiais jamais « Fred Everything », un nom de scène devenu synonyme de house de haute tenue au fil des cinq albums et de la soixantaine de singles et EP qu’il a lancés depuis presque vingtcinq ans.
Puis survint le premier confinement, le bon moment pour se consacrer à ce projet ambient hybride qu’il caressait depuis longtemps. « La musique ambient, c’est un style que j’aime beaucoup, depuis la fin des années 1980 », explique-t-il en évoquant la scène techno de Detroit, les légendaires compilations Artificial Intelligence éditées par le label anglais Warp au début des années 1990 et les concerts de The Orb, pionnier de l’ambient house/dub house, qu’il venait voir à Montréal.
« En arrivant à Montréal, avant même de rencontrer les Luc Raymond et Christian Pronovost — mes mentors en ce qui concerne le house —, j’ai ren
Le pilier de la scène deep house mondiale, en « sabbatique forcée » des clubs, s’est tourné vers une musique qu’il qualifie de « thérapeutique »
contré les gars de Interchill ». Ce label montréalais (aujourd’hui installé en Colombie-Britannique) se spécialisait dans le trance doux, le dub et les musiques électroniques atmosphériques. « J’ai même déjà fait des performances dans les “chill out rooms”, à l’époque des raves ! J’ai encore des cassettes de ça, c’est un peu la base de All is Well. Au fond, lorsque tu écoutes mes albums et mes singles, tu constates que j’ai toujours aimé ce genre d’ambiances. Avec All is Well, j’ai simplement poussé ça plus loin ».
Passage à vide fécond
L’album A Break in Time — un titre évoquant ce que nous avons tous vécu depuis un an et demi — sera dévoilé en exclusivité dimanche, au MTelus, lors de la soirée Nocturne 3. Dans ses généreux arpèges de synthés — les sonorités lumineuses du Prophet-6 de la compagnie Sequential, des claviers Moog et du piano Rhodes, un favori de Fred Everything, y sont à l’honneur —, dans ses timbres chaleureux et par l’usage d’enregistrements de bruits atmosphériques, Frédéric Blais esquisse des grooves planants mais charnels. On peut presque imaginer une rythmique 4/4 house s’activer derrière, « et c’est justement ça l’idée, abonde le compositeur. [En assemblant les sons], les couches de synthés et les arpèges, à un moment donné, l’idée de rythme y est suggérée », sans même avoir besoin d’ajouter des sons de batterie.
All is Well témoigne surtout de l’état d’esprit dans lequel il a été composé, entre le printemps 2020 et l’hiver dernier. Le pilier de la scène deep house mondiale, en « sabbatique forcée » des clubs, s’est tourné vers une musique qu’il qualifie de « thérapeutique ». « La pandémie a influencé mon travail, c’est normal, commente Blais. Y’a quand même une forme de calme qui s’est installé dans nos vies, comme si on arrêtait de courir. [Pendant le confinement], nous n’avions pas de réponse à ce qui nous arrivait, pas de lumière au bout du tunnel — pas même de tunnel, on était pris dans une espèce de zone, un peu comme le jour de la marmotte ! »
L’album est un peu né de ce passage à vide, dit-il, de ce moment étrange, difficile pour certains : la chanson Philippe est ainsi nommée pour son vieil ami et DJ Phil Larochelle, décédé en mars dernier, laissant aussi dans le deuil les nombreux amateurs de musique de club qui ont dansé à Montréal grâce à lui. « Cette chanson a été écrite au moment où il passait à travers une tempête personnelle qui, malheureusement, s’est mal terminée, témoigne Fred. J’avais organisé via Zoom une séance d’écoute de l’album avec mes bons amis. Lorsque je leur ai fait écouter celle-là, j’ai dit à Philippe : “Je l’ai faite pour toi, introspective et tumultueuse”. Au moins, j’ai pu la partager avec lui. »