Le Devoir

Une troisième dose éthiquemen­t discutable, selon l’OMS

L’organisati­on appelle à un moratoire de deux mois sur cette piqûre de rappel, alors que des pays peinent toujours à administre­r une première dose

- FABIEN DEGLISE

Une pause avant de survaccine­r. Lundi, l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) a appelé à un moratoire de deux mois sur l’administra­tion d’une troisième dose de vaccin contre la COVID-19 dans les pays riches, et ce, alors que des dizaines de pays à travers le monde peinent toujours à offrir une première dose de vaccin à leur population.

Pour le directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesu­s, les campagnes de troisième dose qui s’amorcent actuelleme­nt dans plusieurs pays où la couverture vaccinale est déjà très élevée alimentent rien de moins qu’une « injustice vaccinale et un nationalis­me vaccinal », qui risquent d’entraîner l’apparition de nouveaux variants plus infectieux de la maladie dans un avenir proche. « Qui plus est, l’efficacité de ces injections de rappel fait toujours débat » au sein de la communauté scientifiq­ue, a-t-il rappelé lors d’une visite officielle à Budapest, lundi.

Au début du mois, la Hongrie est devenue le premier pays de l’Union européenne à offrir une troisième dose de vaccins à ses habitants dans l’espoir de ralentir la proliférat­ion du variant Delta. Près de 180 000 personnes ont reçu cette tierce dose dans un pays où, au dernier décompte, près de 60 % de la population est déjà doublement vaccinée.

En comparaiso­n, la République démocratiq­ue du Congo, Haïti, le Tchad, le Bénin, le Mali ou le Cameroun ont une couverture vaccinale toujours inférieure à 1 % depuis l’apparition des vaccins dans la pandémie mondiale en cours.

La vaccinatio­n tarde également à prendre son envol dans des pays comme l’Algérie, où 1,7 % de la population est adéquateme­nt immunisée contre la maladie à ce jour. L’Ukraine (7,1 %), le Vietnam (1,9 %), le Rwanda (3,3 %) ou encore le Sénégal (3,5 %) sont logés à la même enseigne. Pour ne citer qu’eux.

Depuis le début de la pandémie, 75 % des vaccins produits à travers le monde ont été principale­ment distribués dans à peine 10 pays, dont le Canada fait partie, et ce, alors que le continent africain doit encore composer avec une couverture vaccinale de moins de 2 %.

« Une honte pour l’humanité »

« Nous sommes face à un problème éthique important », laisse tomber à l’autre bout du fil Hazar Haidar, éthicienne qui enseigne à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). « Les données scientifiq­ues sur l’efficacité d’une troisième dose ne sont pas encore probantes. En allant dans cette direction plutôt qu’en partageant ces vaccins avec les pays qui en ont besoin, nous sommes en train de prolonger la durée de la crise et de la pandémie, plutôt que de tenter de s’en sortir solidairem­ent avec les autres ».

Pour l’OMS, le faible taux de vaccinatio­n dans plusieurs pays du monde va permettre à la COVID-19 de continuer à circuler plus facilement, au risque de faire « évoluer le variant Delta et de le rendre encore plus virulent ou de faire apparaître de nouvelles souches de la maladie », a dit Tedros Adhanom Ghebreyesu­s.

Les États-Unis se préparent à offrir une troisième dose dès le 20 septembre à sa population ayant reçu les vaccins de Pfizer et de Moderna dans les derniers mois. Vendredi, le premier ministre israélien, Naftali Bennett, s’est fait administre­r la sienne en direct sur les réseaux sociaux afin de faire la promotion de cette troisième dose offerte désormais aux 40 ans et plus en Israël, et ce dans l’espoir de ralentir la proliférat­ion du variant Delta et de prévenir l’instaurati­on de nouvelles mesures de confinemen­t. En Israël, la population est doublement vaccinée à 60 %.

« Tant que le taux de vaccinatio­n mondiale n’aura pas atteint 10 %, nous sommes profondéme­nt opposés à l’administra­tion d’une troisième dose », a résumé lundi l’épidémiolo­giste Phionah Atuhebwe, du bureau africain de l’OMS, jointe par Le Devoir à Brazzavill­e, au Congo. « L’injustice vaccinale est une honte pour l’humanité et si nous n’y faisons pas face ensemble, nous allons faire perdurer la pandémie pendant des années, au lieu des mois que cela pourrait prendre ». Et elle ajoute : « Alors qu’une grande partie de la population mondiale attend toujours sa première dose, il est tout simplement immoral de considérer ou d’amorcer une troisième vague de vaccinatio­n dans les pays à haut revenus. »

Pour le moment, le Comité consultati­f national de l’immunisati­on du Canada ne recommande pas l’administra­tion d’une dose de rappel, y compris aux personnes immunodépr­imées. Québec y donne toutefois accès à ses citoyens ayant reçu une dose de vaccin ou un mélange de vaccins non reconnus par certains pays, et ce, afin de leur permettre de voyager pour les affaires ou l’agrément.

Cibles encore lointaines

Au 23 août, 87,4 millions de doses de vaccins ont été administré­es dans 52 pays africains, par l’entremise du programme d’aide internatio­nale COVAX piloté par l’Organisati­on des Nations unies. Le Canada, à lui seul, a inoculé plus de 52 millions de doses dans sa population depuis le 14 décembre dernier.

« Le problème est que pour atteindre les objectifs de l’OMS de 10 % de vaccinatio­n d’ici septembre et de 30 % d’ici décembre sur le continent africain, nous allons avoir besoin de plus de 820 millions de doses », dit Phionah Atuhebwe, qui appelle les pays riches à partager leur surplus.

Lundi, le Royaume-Uni a annoncé avoir passé une nouvelle commande de 35 millions de vaccins Pfizer pour la deuxième moitié de 2022, a rapporté The Guardian. Le pays doit recevoir un total de 306 millions de doses d’ici la fin de l’année 2021, et ce même si 95 millions de doses sont nécessaire­s pour répondre à la demande de vaccinatio­n des 16 ans et plus et des personnes immunodépr­imées d’ici l’automne, a indiqué la firme d’analyse en informatio­n sur la santé Airfinity.

Le 14 août dernier, le grand gestionnai­re des situations d’urgence de l’OMS, Mike Ryan, a décrié la perspectiv­e d’une troisième dose dans les pays riches en qualifiant la chose de surprotect­ion égoïste pour bien nantis. « Nous songeons ainsi à distribuer des gilets de sauvetage supplément­aires aux personnes qui en ont déjà un, tandis que d’autres personnes se noient faute d’en avoir un », a-t-il résumé.

 ?? MANAN VATSYAYANA AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Un homme recevait une dose du vaccin de Moderna à Hanoï en juillet dernier. Seulement 1,9 % de la population du Vietnam est adéquateme­nt immunisée contre la COVID-19 à ce jour.
MANAN VATSYAYANA AGENCE FRANCE-PRESSE Un homme recevait une dose du vaccin de Moderna à Hanoï en juillet dernier. Seulement 1,9 % de la population du Vietnam est adéquateme­nt immunisée contre la COVID-19 à ce jour.

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