Une troisième dose éthiquement discutable, selon l’OMS
L’organisation appelle à un moratoire de deux mois sur cette piqûre de rappel, alors que des pays peinent toujours à administrer une première dose
Une pause avant de survacciner. Lundi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé à un moratoire de deux mois sur l’administration d’une troisième dose de vaccin contre la COVID-19 dans les pays riches, et ce, alors que des dizaines de pays à travers le monde peinent toujours à offrir une première dose de vaccin à leur population.
Pour le directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, les campagnes de troisième dose qui s’amorcent actuellement dans plusieurs pays où la couverture vaccinale est déjà très élevée alimentent rien de moins qu’une « injustice vaccinale et un nationalisme vaccinal », qui risquent d’entraîner l’apparition de nouveaux variants plus infectieux de la maladie dans un avenir proche. « Qui plus est, l’efficacité de ces injections de rappel fait toujours débat » au sein de la communauté scientifique, a-t-il rappelé lors d’une visite officielle à Budapest, lundi.
Au début du mois, la Hongrie est devenue le premier pays de l’Union européenne à offrir une troisième dose de vaccins à ses habitants dans l’espoir de ralentir la prolifération du variant Delta. Près de 180 000 personnes ont reçu cette tierce dose dans un pays où, au dernier décompte, près de 60 % de la population est déjà doublement vaccinée.
En comparaison, la République démocratique du Congo, Haïti, le Tchad, le Bénin, le Mali ou le Cameroun ont une couverture vaccinale toujours inférieure à 1 % depuis l’apparition des vaccins dans la pandémie mondiale en cours.
La vaccination tarde également à prendre son envol dans des pays comme l’Algérie, où 1,7 % de la population est adéquatement immunisée contre la maladie à ce jour. L’Ukraine (7,1 %), le Vietnam (1,9 %), le Rwanda (3,3 %) ou encore le Sénégal (3,5 %) sont logés à la même enseigne. Pour ne citer qu’eux.
Depuis le début de la pandémie, 75 % des vaccins produits à travers le monde ont été principalement distribués dans à peine 10 pays, dont le Canada fait partie, et ce, alors que le continent africain doit encore composer avec une couverture vaccinale de moins de 2 %.
« Une honte pour l’humanité »
« Nous sommes face à un problème éthique important », laisse tomber à l’autre bout du fil Hazar Haidar, éthicienne qui enseigne à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). « Les données scientifiques sur l’efficacité d’une troisième dose ne sont pas encore probantes. En allant dans cette direction plutôt qu’en partageant ces vaccins avec les pays qui en ont besoin, nous sommes en train de prolonger la durée de la crise et de la pandémie, plutôt que de tenter de s’en sortir solidairement avec les autres ».
Pour l’OMS, le faible taux de vaccination dans plusieurs pays du monde va permettre à la COVID-19 de continuer à circuler plus facilement, au risque de faire « évoluer le variant Delta et de le rendre encore plus virulent ou de faire apparaître de nouvelles souches de la maladie », a dit Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Les États-Unis se préparent à offrir une troisième dose dès le 20 septembre à sa population ayant reçu les vaccins de Pfizer et de Moderna dans les derniers mois. Vendredi, le premier ministre israélien, Naftali Bennett, s’est fait administrer la sienne en direct sur les réseaux sociaux afin de faire la promotion de cette troisième dose offerte désormais aux 40 ans et plus en Israël, et ce dans l’espoir de ralentir la prolifération du variant Delta et de prévenir l’instauration de nouvelles mesures de confinement. En Israël, la population est doublement vaccinée à 60 %.
« Tant que le taux de vaccination mondiale n’aura pas atteint 10 %, nous sommes profondément opposés à l’administration d’une troisième dose », a résumé lundi l’épidémiologiste Phionah Atuhebwe, du bureau africain de l’OMS, jointe par Le Devoir à Brazzaville, au Congo. « L’injustice vaccinale est une honte pour l’humanité et si nous n’y faisons pas face ensemble, nous allons faire perdurer la pandémie pendant des années, au lieu des mois que cela pourrait prendre ». Et elle ajoute : « Alors qu’une grande partie de la population mondiale attend toujours sa première dose, il est tout simplement immoral de considérer ou d’amorcer une troisième vague de vaccination dans les pays à haut revenus. »
Pour le moment, le Comité consultatif national de l’immunisation du Canada ne recommande pas l’administration d’une dose de rappel, y compris aux personnes immunodéprimées. Québec y donne toutefois accès à ses citoyens ayant reçu une dose de vaccin ou un mélange de vaccins non reconnus par certains pays, et ce, afin de leur permettre de voyager pour les affaires ou l’agrément.
Cibles encore lointaines
Au 23 août, 87,4 millions de doses de vaccins ont été administrées dans 52 pays africains, par l’entremise du programme d’aide internationale COVAX piloté par l’Organisation des Nations unies. Le Canada, à lui seul, a inoculé plus de 52 millions de doses dans sa population depuis le 14 décembre dernier.
« Le problème est que pour atteindre les objectifs de l’OMS de 10 % de vaccination d’ici septembre et de 30 % d’ici décembre sur le continent africain, nous allons avoir besoin de plus de 820 millions de doses », dit Phionah Atuhebwe, qui appelle les pays riches à partager leur surplus.
Lundi, le Royaume-Uni a annoncé avoir passé une nouvelle commande de 35 millions de vaccins Pfizer pour la deuxième moitié de 2022, a rapporté The Guardian. Le pays doit recevoir un total de 306 millions de doses d’ici la fin de l’année 2021, et ce même si 95 millions de doses sont nécessaires pour répondre à la demande de vaccination des 16 ans et plus et des personnes immunodéprimées d’ici l’automne, a indiqué la firme d’analyse en information sur la santé Airfinity.
Le 14 août dernier, le grand gestionnaire des situations d’urgence de l’OMS, Mike Ryan, a décrié la perspective d’une troisième dose dans les pays riches en qualifiant la chose de surprotection égoïste pour bien nantis. « Nous songeons ainsi à distribuer des gilets de sauvetage supplémentaires aux personnes qui en ont déjà un, tandis que d’autres personnes se noient faute d’en avoir un », a-t-il résumé.