Le Devoir

Savants ou jovialiste­s ?

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Ils n’ont pas d’idée précise du pourcentag­e de leur personnel qui est vacciné, se fiant à des projection­s tirées de sondages ou aux statistiqu­es présentées par le gouverneme­nt dans la population générale. Mais les cégeps et les université­s du Québec ne voient pas la nécessité d’imposer la vaccinatio­n obligatoir­e, ni au personnel ni non plus aux étudiants. Sur quels motifs repose leur réflexion ? Le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, et le président du conseil d’administra­tion du Bureau de coopératio­n interunive­rsitaire (BCI), Pierre Cossette, ont présenté la semaine dernière un portrait presque idyllique de la situation régnant sur leurs différents campus. À moins d’une sanction de la Santé publique obligeant leurs administra­tions à imposer la vaccinatio­n obligatoir­e, ils ne voient pas pourquoi ils opteraient pour cette voie complexe. Surtout, ils n’en voient pas le motif.

Savants ou jovialiste­s ? La question se pose. En décortiqua­nt le raisonneme­nt des porte-voix des 48 cégeps et 18 université­s du Québec, on dirait que c’est surtout pour éviter le chaos logistique de la vaccinatio­n obligatoir­e que les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur préfèrent ne pas l’envisager, tablant sur le fait que le contexte actuel ne le justifie pas.

Concédons d’emblée que l’enjeu n’est pas des plus simples. La société tout entière a salué le retour en présence des étudiants dans les collèges et les université­s, car les 18 derniers mois d’enseigneme­nt virtuel ont constitué une épreuve non seulement sur le parcours universita­ire et la réussite, mais aussi et surtout sur la santé mentale de cette population déjà fragilisée et aux prises avec une montée en importance des troubles anxieux. Tout le monde se rallie donc autour du retour en classe avec le masque.

Si convaincus soient-ils de l’importance de ce retour, des acteurs de premier plan dans la communauté des professeur­s et du personnel émettent tout de même quelques réserves, principale­ment parce que la quatrième vague menée par le variant Delta vient bouleverse­r la rentrée de toute la société civile. Même si le Québec compte parmi les sociétés les plus vaccinées du monde, ainsi que le recteur de l’Université de Sherbrooke et médecin Pierre Cossette l’a vanté devant les parlementa­ires réunis la semaine dernière, cela ne vient pas pour autant reléguer au second plan toutes les questions destinées à faire en sorte que les campus ne deviennent pas des lieux d’éclosion et de transmissi­on du virus. Ainsi, 86 % des étudiants seraient adéquateme­nt vaccinés ou en voie de l’être, mais ce pourcentag­e varie d’un endroit à l’autre. Personne ne peut prédire de quoi sera fait l’automne ; l’objectif est la stabilité, mais il faudra peut-être des mesures additionne­lles pour prétendre à un environnem­ent plus stable.

Dans plusieurs provinces, des université­s ont d’ailleurs décrété l’obligation vaccinale pour le personnel et la preuve vaccinale pour les étudiants, assortie d’une obligation à se faire dépister si l’étudiant n’est pas adéquateme­nt vacciné. Mais au Québec, il semble que cette avenue n’est pas envisageab­le. « Nous avons ce qu’il faut pour assurer une rentrée sécuritair­e », assurent les représenta­nts de l’enseigneme­nt supérieur. « Ça va bien se passer. » « On ne change pas un club gagnant. »

Cet optimisme est beau à voir, mais espérons qu’il ne camoufle pas la crainte des problèmes organisati­onnels ou la sacro-sainte peur de l’ingérence dans la gestion autonome. Si on doit écarter la vaccinatio­n obligatoir­e, qu’on le fasse pour les bonnes raisons.

Rappelons que les université­s du Québec sont des entités autonomes, qui pourraient, si elles le souhaitaie­nt, imposer leurs propres règles en leur sein. Reconnaiss­ons aussi aux deux dirigeants qu’ils ont raison de comparer leurs campus respectifs à de petites villes, composées de clientèles issues de toutes les tranches d’âge. L’imposition de l’obligation vaccinale aux étudiants, si elle était envisagée, non seulement violerait le principe essentiel du droit à l’éducation, mais s’avérerait un cauchemar logistique d’importance, ne serait-ce qu’en raison des multiples accès au campus et des déplacemen­ts constants des étudiants dans une journée.

Ces enjeux organisati­onnels prennent l’allure du chaos à gérer, on le comprend aisément. Mais ils ne peuvent pas régner en maîtres dans l’analyse coûts et bénéfices à laquelle se soumettent en ce moment toutes les organisati­ons qui réfléchiss­ent à un retour à la normalité en présence du variant Delta.

À défaut d’imposer la vaccinatio­n obligatoir­e, les cégeps et les université­s devraient militer pour qu’à côté des cliniques de vaccinatio­n qui se tiennent dans leurs établissem­ents on songe aussi à des cliniques de dépistage, qui permettrai­ent de cibler rapidement les étudiants infectés aux prises avec des symptômes. C’est une voie qui a été promise pour les écoles primaires et secondaire­s, et nous espérons qu’elle sera largement disponible. Université­s et cégeps devraient eux aussi avoir accès à cette mesure, à laquelle il est difficile de s’opposer, qu’on soit savant ou jovialiste.

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