L’équipe de Shang-Chi, dernier né de l’univers Marvel, à coeur ouvert
Simu Liu, Awkwafina, Destin Daniel Cretton et compagnie nous ouvrent les portes de l’univers du superhéros aux dix anneaux mythiques de Marvel
Shaun mène une existence désinvolte à San Francisco. Bardé de diplômes, il se satisfait pourtant d’un emploi de voiturier. Or, Shaun est en réalité le fils du Mandarin, un despote possédant les mythiques dix anneaux qui lui confèrent puissance et immortalité. Après des années à vivre sous le radar, voici que Shaun, né Shang-Chi, est rattrapé par les sbires de son terrible père. Superhéros moins connu que, disons, la moyenne des Avengers, Shang-Chi n’en bénéficie pas moins d’un traitement royal par Marvel et Disney, comme s’en réjouissaient ses artisans lors d’une conférence virtuelle à laquelle Le Devoir a été convié.
Superproduction au même titre que ses prédécesseurs, donc, Shang-Chi and the Legend of the Ten Rings (ShangChi et la légende des dix anneaux) a été réalisé et coscénarisé par Destin Daniel Cretton. « J’ai ressenti une réelle connexion avec le destin de Shang-Chi, avec son parcours de découverte de soi, de croissance et d’apprivoisement de la douleur qu’il a fuie toute sa vie », confie le cinéaste natif d’Hawaï.
Quand on fait la connaissance de Shang-Chi, on croit d’abord être en présence d’un adulescent qui se complaît dans sa propre stagnation existentielle. Sauf qu’il n’en est rien : sous ses dehors indolents, ce superhéros récalcitrant est en pleine fuite en avant. De poursuivre Destin Daniel Cretton : « Lorsqu’il est finalement capable de regarder en lui-même, il embrasse le bon, le mauvais, la joie, la douleur, et il accepte tout ça comme étant partie intégrante de qui il est. C’est à ce moment qu’il enfile ses chaussures de grand garçon. On peut tous s’identifier à ça, d’une certaine manière. »
Il y a quelques années à peine, Destin Daniel Cretton était à des lieues de penser qu’il se retrouverait un jour à la barre d’une telle entreprise. « J’étais intervenant dans un foyer pour adolescents à risque […] Ce travail a affecté chaque pan de ma vie, ma vision du monde. »
Les premiers longs métrages du réalisateur, Short Term et The Glass Castle, témoignaient déjà de ces préoccupations, qui trouvent à présent écho dans les tribulations de Shang-Chi, dont on revisite l’enfance mouvementée. « J’ai l’impression que les histoires qui m’attirent combinent humour et optimisme, mais ne font pas abstraction de la part d’ombre et de la douleur qu’on éprouve tous, tôt ou tard, en tant qu’humains. Le film englobe tout ça, tout ce en quoi je crois. »
Une vraie amitié
Découvert dans le rôle de Jung Kim dans la populaire série comique de CBC Kim’s Convenience, Simu Liu incarne Shang-Chi avec le dosage parfait de gravité, d’humour et de charisme. Né en Chine, l’acteur immigra au Canada à l’âge de cinq ans et se destinait initialement à une carrière de… comptable. Ici, il donne notamment la réplique à Tony Leung, Michelle Yeoh et Ben Kingsley : Simu Liu avoue encore se pincer.
« J’éprouvais le syndrome de l’imposteur chaque jour, lance l’acteur. C’était un tel plaisir, mais je ne pouvais pas me tromper. Lors de mon dernier essai caméra avec Nora [Awkwafina, née Nora Lum], elle a fait un travail si merveilleux pour me mettre à l’aise… J’avais les nerfs en boule. J’étais un acteur de Toronto, et je ne m’étais jamais permis de m’imaginer faire un jour parti de l’univers cinématographique Marvel [UCM ou MCU]. C’est le rêve le plus fou qu’on puisse avoir. Et Nora a fait ce travail si merveilleux en étant dans le moment avec moi, et on avait tellement une belle chimie… »
D’ailleurs, un des éléments les plus réussis du film est cette amitié indéfectible qui unit Shaun/Shang-Chi et Katy, qu’incarne avec verve l’impayable Awkwafina. Une amitié qui est célébrée comme telle, et non traitée comme une idylle en devenir.
« Quand Dave Callahan, un des coscénaristes, et moi en étions à créer cette relation, nous avons pris conscience que nous avons beaucoup d’amis qui ne sont pas du même sexe que nous, et avec qui c’est strictement platonique mais très intime, bienveillant, et que nous n’avions pas énormément vu ça à l’écran. Nous étions très excités de créer cette relation entre Shang-Chi et Katy. Et puis, ça nous semblait la seule voie à suivre puisque Shang-Chi est tellement plongé dans ses luttes intérieures », explique Destin Daniel Cretton.
« Ouais, il n’avait pas besoin d’une amoureuse névrosée par-dessus tout ça », résume Awkwafina en provoquant l’hilarité générale.
Question de langue
Un autre aspect réjouissant du film est sa volonté d’inclure une part significative, plus que ce à quoi Hollywood se borne habituellement, de mandarin. Tout le copieux prologue est narré
JASIN BOLAND WALT DISNEY PICTURES
Le film ShangChi and the Legend of the Ten Rings prendra l’affiche le 3 septembre
dans cette langue, et il arrive souvent aux personnages de se mettre à parler mandarin entre eux, ce qui devrait aller de soi, mais est néanmoins rare dans les superproductions. En effet, celles-ci privilégient traditionnellement l’anglais pour tous, avec accents en guise de concession à l’authenticité.
« La conversation portant sur quelle langue devait être parlée a toujours été ancrée dans la logique des personnages, note Destin Daniel Cretton. Qui parlerait naturellement quelle langue ? Cette conversation a débuté dans la salle d’écriture et s’est poursuivie quand les acteurs sont arrivés, afin de déterminer quelle langue parleraient ces personnages bilingues, trilingues, quadrilingues ; laquelle aurait le plus de sens à tel moment. On a eu cette discussion pour chaque scène. »
À l’évidence, le sujet interpelle les vedettes, qui s’animent de concert. Une scène, en particulier, a marqué Simu Liu : « J’adore ce passage où le personnage de Ronny [Chieng, humoriste et acteur dans le film, qui animait la conférence] parle à celui d’Awkwafina, et qu’elle dit “mon chinois n’est pas bon”, et qu’il répond que ce n’est pas grave qu’il parle “l’ABC”. Je veux dire… »
« C’était un grand moment, oui, intervient Awkwafina. C’est que, culturellement, on ne voit jamais ça. On ne fait jamais référence à ça. »
« Ils ont pointé ça, désigné ça, et bien sûr, “ABC” signifie Chinois né Américain [American born Chinese]. C’est la première fois qu’on voit réellement ça dans un film, quelqu’un qui fait juste… rendre compte de cette expérience, de ce vécu », conclut Simu Liu.
Motivations pures
Dans le même ordre d’idées, lorsqu’une journaliste, Cat Combs, de Black Girl Nerds, demande au réalisateur si le film est moins préoccupé par l’univers cinématographique Marvel et davantage par « la culture, l’expérience asiatique », Destin Daniel Cretton, qui possède entre autres un héritage japonais, répond : « Je pense que le fait qu’il s’agit d’un film Marvel a une pertinence accrue. Si nous n’avions pas placé Shang-Chi à égalité avec tous les autres superhéros qu’on a aimés par le passé, ça n’aurait pas été rendre service à la culture et au personnage. »
Son de cloche identique chez Kevin Feige, grand manitou chez Marvel : « Nous voulions faire ce film pour ces deux raisons : amener ce personnage dans l’UCM, tout en offrant une représentation d’un autre genre. Et c’est ce que Destin nous a proposé dans sa présentation, qui contenait de l’action propre à Marvel, cool, mais qui était d’abord ce récit père-fils… »
Également présent à la conférence, Ben Kingsley, qui reprend son rôle de Trevor Slattery d’Iron Man 3, opine et renchérit : « C’est une histoire qui, parce qu’elle est si belle et si bien racontée, a un pouvoir guérisseur ; ce n’est pas de la propagande. Quand vous entendez Destin en parler, vous comprenez que ses motivations pour raconter cette histoire sont pures, limpides et lucides. Ce sont des motivations visant à améliorer l’existence, et qui ne sont pas paternalistes, car elles abordent de belle façon des thèmes comme la mémoire, l’ascendance, la perte, la famille déchirée puis réunie ou reconfigurée… Tout ça, en provenance du coeur de Destin. »
Les propos recueillis ont été édités à des fins de longueur et de clarté.