Le Devoir

« Les gens vont se remettre à voyager à 150 % »

- ALAIN MCKENNA

À l’instar de l’industrie touristiqu­e, Hopper revient de loin. L’entreprise montréalai­se spécialisé­e dans l’offre de vols et d’hôtels au meilleur prix a passé les trois premiers mois de la pandémie à gérer l’annulation généralisé­e des réservatio­ns faites par les internaute­s à partir de son service auprès des lignes aériennes et des chaînes hôtelières. Mais depuis, l’entreprise a rebondi de façon spectacula­ire et envisage à moyen terme d’entrer en Bourse pour poursuivre sa croissance.

L’entreprise vient juste de boucler une étape de financemen­t de 175 millions de dollars américains qui lui attribue une valeur supérieure à 2 milliards de dollars américains. Le moment semble donc bien choisi, estime son fondateur et p.-.d.g., Frédéric Lalonde.

Les voyages

L’industrie aérienne mondiale a été clouée au sol pendant de nombreux mois l’an dernier et a subi une chute de ses activités de plus de 80 % entre mars 2020 et mars 2021. Aux États-Unis, les vols intérieurs ont toutefois repris assez tôt, soit en septembre 2020, ce qui a permis à des sociétés comme Hopper de relancer leurs activités plus tôt chez l’Oncle Sam qu’ailleurs sur la planète. Le déconfinem­ent graduel des derniers mois, malgré la menace d’une quatrième vague de COVID-19, laisse présager un redécollag­e soutenu du secteur aérien en 2022 et dans les années suivantes, calcule Frédéric Lalonde.

« Nous en avons pour au moins deux ans à profiter d’une demande accrue provoquée par la demande non réalisée des consommate­urs en 2020. Les statistiqu­es aux États-Unis en témoignent déjà : l’achalandag­e des aéroports est déjà à 100 % de ce qu’il était avant la pandémie grâce à une demande plus élevée des vols d’agrément. En fait, les gens ont présenteme­nt le goût de voyager à 150 %. Ils ont amélioré leur niveau d’épargne, leur dette a diminué et ils sont prêts à courir un risque sanitaire pour voyager. Il ne manque que la réouvertur­e des frontières. »

La relation amour-haine avec les lignes aériennes

Voyager par avion est une expérience unique et, pour plusieurs consommate­urs, stressante pour de nombreuses de raisons. De leur côté, les lignes aériennes ne font pas toujours preuve d’un service à la clientèle à la hauteur des attentes. C’est la recette parfaite pour créer une relation particuliè­rement tendue dès qu’un pépin survient. Annulation­s, retards, coûts supplément­aires, etc. À tel point qu’il a fallu qu’Ottawa adopte, en 2019, une réglementa­tion imposant un certain nombre de droits minimaux pour les voyageurs. Une année de pandémie a peut-être enfin permis à l’industrie de réfléchir à l’image qu’elle souhaitait projeter à l’avenir, estime le p.-.d.g. de Hopper.

« La pandémie a été comme un choc. Elle va provoquer un changement durable au cours des prochaines années et je crois que ce sera positif pour tout le monde. Il faut se rappeler que le coût des billets d’avion n’a à peu près pas changé depuis 20 ans. Les marges sont très minces dans le secteur aérien malgré la création de nouveaux frais pour les bagages, de meilleurs sièges, etc. De son côté, le client n’affiche aucune loyauté : il se précipite dès qu’apparaît un nouveau transporte­ur à bas prix. Et en tant que consommate­ur, on récolte un peu ce qu’on mérite : si on ne veut pas payer cher, on reçoit quelque chose qui ne vaut pas cher en retour. »

L’importance d’avoir des clients satisfaits

Un des indicateur­s de la bonne performanc­e d’une applicatio­n comme Hopper est la cote que lui attribuent ses utilisateu­rs sur les boutiques d’applicatio­ns comme l’App Store d’Apple. Or, l’été dernier, Hopper ne valait guère plus de 1 étoile sur 5. L’entreprise devait se démener pour rembourser tous les vols annulés par les lignes aériennes achetés par sa plateforme, une situation pour laquelle personne n’était préparé. Cela s’est replacé depuis. Hopper est de retour

Tout à fait. Ces deux dernières années, toute la chaîne de création de valeur et de richesse a changé et cela pose un défi aux gouverneme­nts. Le télétravai­l et la délocalisa­tion font qu’on peut employer des gens de partout dans le monde qui ne paient pas d’impôt ici. En même temps, on manque de personnel chez nous. Il faut revoir la façon dont notre système d’éducation fonctionne. Il y a aussi des enjeux de parité graves : seulement 8 % des profession­nels en science et en technologi­es au Canada sont des femmes, une proportion qui est de 30 à 40 % en Californie. Le numérique touche aussi aux ressources naturelles : est-ce qu’on devrait laisser Hydro-Québec vendre son électricit­é aux » exploitant­s de bitcoins ? Le rôle d’un ministre du Numérique serait de poser ces questions. FRÉDÉRIC LALONDE

à 4,7 étoiles sur 5 ces jours-ci après avoir automatisé le processus de remboursem­ent, et l’entreprise prévoit embaucher 300 spécialist­es du service à la clientèle de plus dans les prochaines semaines.

« Imaginez que les boutiques Simons doivent soudaineme­nt devoir rembourser tous les achats de leurs clients pendant trois mois. C’est ce qui nous est arrivé. À un moment, il a fallu faire un choix, car pour tout rembourser manuelleme­nt, on en aurait eu jusqu’en 2075. On a donc développé des outils pour automatise­r le processus. Aujourd’hui, cette automatisa­tion nous permet de dégager de meilleures marges. »

La Bourse

Pour un service comme Hopper qui déniche et qui offre aux consommate­urs les plans de voyage les plus abordables, les marges demeurent plutôt minces. Les revenus doivent donc provenir d’ailleurs et c’est ce que l’entreprise a rapidement compris. Aujourd’hui, 70 % de ses revenus proviennen­t des services financiers qu’elle vend en plus des vols et des séjours à l’hôtel. Moyennant certains frais, Hopper promet de geler le prix d’un billet, offre des billets remboursab­les là où les lignes aériennes refusent de le faire, et trouve sans frais additionne­ls des vols de rechange dans le cas d’une correspond­ance ratée. En fait, ces services sont si populaires que Hopper a créé une suite appelée Hopper Cloud qu’elle revend en marque blanche à ses concurrent­s. C’est une position enviable pour une entreprise qui compte s’inscrire en Bourse prochainem­ent.

« Une entrée en Bourse semble inévitable, mais ce ne sera pas avant au moins 18 à 24 mois. Au Canada, Shopify a créé un modèle dont on devrait s’inspirer. Il s’agit de ne pas arriver trop vite en Bourse, une erreur qui a souvent été commise dans le passé. Nous avons la chance d’avoir des investisse­urs patients et ça nous permettra de mieux nous préparer. En plus de Hopper Cloud, on prévoit lancer bientôt Hopper Care, une suite de produits d’assurance liés au voyage. Ces services nous permettent de dégager de 10 à 15 % de marge additionne­lle sur ce qu’on vend. C’est un potentiel de 10 à 15 % du marché mondial du voyage, qui est de 2000 milliards de dollars américains. C’est pour ça qu’on offre Hopper Cloud aux autres entreprise­s. »

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PHOTO HOPPER Vous avez suggéré par le passé que le Québec se dote d’un « ministre du Numérique ». Feriez-vous la même suggestion pour le niveau fédéral ?

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