Le Devoir

Des chirurgies d’un jour pour réduire les listes d’attente

- MARIE-EVE COUSINEAU

Déplacer et manipuler des sacs de mortier de 30 kilos. C’est le pain quotidien de Richard Labbé, un maçon de 65 ans. À la mi-juillet, il a dû subir une chirurgie pour remplacer la hanche qui le faisait souffrir au travail comme à la maison. « Je suis entré à l’hôpital à 6 h 30 et à 17 h j’étais chez nous ! » dit l’entreprene­ur de Beauharnoi­s.

Richard Labbé figure parmi les premiers patients à avoir subi un remplaceme­nt total de la hanche en chirurgie d’un jour à l’hôpital Anna-Laberge, à Châteaugua­y. Le jour même de sa chirurgie, il a gravi les 20 marches de l’escalier menant à son logement situé au deuxième étage de l’immeuble où se trouvent son atelier et celui de son frère ébéniste.

« À l’hôpital, on m’a fait monter quatre ou cinq marches, quatre ou cinq fois [pour m’exercer] », explique l’homme à la chevelure gris-blanc, agile et solide sur ses jambes. « J’étais un peu sur les vapeurs. Ça a aidé à me faire monter les marches ! » Son épouse était à ses côtés.

L’hôpital Anna-Laberge offre depuis quatre mois le remplaceme­nt total de la hanche en chirurgie d’un jour — une interventi­on mise au point en 2016 par le Dr Pascal André Vendittoli, chirurgien orthopédis­te à l’hôpital Maisonneuv­eRosemont. Jusqu’à présent, huit patients en ont bénéficié. Le centre hospitalie­r procède aussi à des remplaceme­nts de genou en interventi­on d’un jour depuis décembre 2018.

Présenteme­nt, je suis rendue à un délai d’attente de deux ans, deux ans et demi.

L ’idéal serait six mois.

LUCE LEBOEUF

L’hôpital du Suroît, à Salaberry-deValleyfi­eld, vient d’emboîter le pas. Deux opérations à la hanche ont été effectuées cet été ; un remplaceme­nt de genou aussi.

Grâce à ces interventi­ons, le CISSS de la Montérégie-Ouest souhaite favoriser le rétablisse­ment rapide des patients, mais aussi réduire les listes d’attente en chirurgie et les hospitalis­ations.

À l’hôpital du Suroît, 1537 patients étaient en attente d’une chirurgie orthopédiq­ue en date du 20 août, selon Luce Leboeuf, infirmière-chef du bloc opératoire. « Présenteme­nt, je suis rendue à un délai d’attente de deux ans, deux ans et demi, déplore-t-elle. L’idéal serait six mois. »

Durant la saison estivale, le bloc opératoire du Suroît a roulé à 50 % de sa capacité en raison de la pénurie de personnel, indique-t-elle. « Je vais pouvoir, à l’automne, remonter à 75 %, mais je vais être incapable d’être à 100 % », affirme Mme Leboeuf.

Trop d’infirmière­s et d’inhalothér­apeutes manquent à l’appel au bloc opératoire et aux étages où sont hospitalis­és les patients après une chirurgie. Des lits ont d’ailleurs été fermés, ce qui a un impact sur l’urgence. Le taux d’occupation au Suroît était de 178 % mardi après-midi, avec 27 patients sur civière depuis 48 heures.

Pas une solution miracle

Les remplaceme­nts articulair­es en chirurgie d’un jour ne régleront pas tout. Tous les patients ne peuvent y avoir accès.

L’âge, le poids et les comorbidit­és sont pris en compte lors de la sélection des candidats, signale Claudine Ricard, infirmière-chef du bloc opératoire de l’hôpital Anna-Laberge. « Un patient ayant un IMC [indice de masse corporelle] à 50, on ne peut pas l’accepter, cite-t-elle comme exemple. Si des patients font de l’apnée du sommeil non contrôlé, ont un diabète ou une hypertensi­on artérielle non contrôlé, ils sont exclus, malheureus­ement. »

Les patients ayant ces conditions ont besoin d’une surveillan­ce et de soins médicaux pendant quelques jours à l’hôpital à la suite d’un remplaceme­nt articulair­e. Les protocoles en chirurgie « traditionn­elle » et en interventi­on d’un jour diffèrent (voir encadré).

« Ce qu’on ne veut pas, c’est qu’à 2 h du matin, ça n’aille pas bien et que le patient doive venir à l’urgence en ambulance », dit la Dre Lynne Dumais, anesthésis­te à l’hôpital du Suroît.

Les deux centres hospitalie­rs veulent multiplier ces interventi­ons à l’avenir. « Mais c’est sûr qu’on aura toujours à moyen terme et à court terme une limitation, dit Claudine Ricard. On ne peut pas en faire deux, puis trois, puis quatre par jour, parce que ça a un impact en réadaptati­on. »

Les profession­nels en physiothér­apie, qui assurent le suivi, se font rares au Suroît, selon Karine Cervera, cheffe de service en réadaptati­on au CISSS de la Montérégie-Ouest. « Il me manque pratiqueme­nt la moitié de mes effectifs », estime-t-elle.

Malgré les obstacles, le Dr Eric Hylands, chirurgien orthopédis­te à l’hôpital du Suroît, se réjouit de pouvoir offrir cette opération à certains patients. « J’ai des patients qui ne travaillen­t plus depuis un an et demi, deux ans, dit le Dr Eric Hylands. Des patients qui ne font plus aucune activité, qui n’ont plus de plaisir dans la vie. Ça va même jusqu’à la détresse psychologi­que. J’ai des patients qui ont parlé de suicide. Toutes les ramificati­ons des délais d’attente en orthopédie présenteme­nt, c’est une tragédie. »

Richard Labbé, lui, mesure sa chance. Il ne s’est écoulé que cinq mois entre sa consultati­on avec un orthopédis­te et sa chirurgie d’un jour. Il s’est rapidement remis sur pied après l’opération et vaque maintenant à ses occupation­s sans canne, sauf parfois le soir. « Je marche encore un peu comme un robot, remarque le maçon. Le secret, c’est la physio, une heure ou deux par jour. »

Richard Labbé est motivé. Il veut recommence­r à travailler à temps plein, jouer au golf et remonter sur son vélo. La retraite viendra plus tard.

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