Le Devoir

Un « centre d’autisme » public-privé dans Rosemont

Des donateurs recrutés par des parents ont versé 27 millions de dollars sur la facture de 51,4 millions

- MARCO FORTIER

C’est une histoire de coeur et de travail acharné. Une histoire qui rend les yeux humides, aussi. Une petite école privée pour enfants autistes, lancée il y a 40 ans dans un sous-sol d’église, deviendra un « centre d’autisme » unique au Québec, financé en bonne partie par des donateurs privés recrutés par des parents, qui ont avancé 27 millions de dollars.

Le ministère de l’Éducation a annoncé mardi un investisse­ment de 15 millions de dollars dans ce partenaria­t public-privé inédit qui verra le jour au coeur du quartier Angus, dans l’arrondisse­ment de Rosemont–La PetitePatr­ie. Le coût total du projet est estimé à 51,4 millions. Le centre d’autisme À Pas de Géant abritera une école préscolair­e, primaire et secondaire, un centre d’éducation des adultes, des services communauta­ires et un centre de recherche sur l’autisme.

Il manque 10 millions de dollars pour compléter le financemen­t du projet. Les promoteurs s’apprêtent à frapper à la porte d’Ottawa dans l’espoir d’obtenir des fonds pour mettre en place le volet de recherche et innovation, qui relève du gouverneme­nt fédéral.

« Ce n’est pas simplement une école. C’est un centre d’autisme. On élargit la mission. L’école, qui est bien implantée à Montréal, va déployer ses ailes et devenir un centre de référence », a affirmé mardi le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, lors d’une visite dans le quartier Angus.

Ce projet défie les normes du ministère de l’Éducation. Habituelle­ment, Québec verse aux écoles privées environ 60 % de ce que reçoivent les écoles publiques pour les services pédagogiqu­es, mais ne finance pas la brique et le mortier. La petite école privée À Pas de Géant est déjà financée à 100 % par Québec, et les parents ne paient aucun droit de scolarité en raison de sa nature d’intérêt public, indique-t-on.

Il fallait imaginer un nouveau modèle pour mettre en place ce « centre d’autisme », a expliqué le ministre Jean-François Roberge. « Ce projet-là est un peu différent et en même temps en pleine cohérence avec ce qu’on est en train de faire, de se donner des écoles neuves, belles, mais aussi différente­s et efficaces. On veut de l’innovation pédagogiqu­e. Et oui, ça passe par des partenaria­ts », a-t-il fait valoir.

On veut de l’innovation pédagogiqu­e. Et oui, ça passe par des

partenaria­ts. JEAN-FRANÇOIS ROBERGE

Un modèle remis en question

Le député de Rosemont, Vincent Marissal, salue l’engagement financier de Québec et le dévouement hors de l’ordinaire des parents d’élèves, qui ont mis des dizaines d’heures de bénévolat pour amasser 27 millions de dollars en dons privés. L’élu de Québec solidaire s’interroge néanmoins sur le partenaria­t public-privé mis en place pour cette école qui rend des services essentiels à des enfants vulnérable­s.

« Est-ce que ça ne serait pas à l’État de payer complèteme­nt ? Ce sont des enfants qui ont besoin de soins particulie­rs. Sans un financemen­t privé, il n’y aurait pas de nouvelle école pour ces jeunes-là. L’État se désengage et détricote le filet social », dit Vincent Marissal.

L’école À Pas de Géant accueille 90 élèves autistes dans ses installati­ons actuelles du quartier Notre-Dame-deGrâce. Les besoins sont nettement plus grands : faute de place, l’école refuse neuf enfants sur dix dont les parents font une demande d’admission.

Des parents mobilisés

Les parents d’enfants autistes ont accueilli avec une grande émotion l’annonce de la création du centre d’autisme. Les yeux humides, la gorge serrée, Andrée Dallaire, mère d’une adolescent­e qui fréquente l’école À Pas de Géant, a salué la naissance de ce projet unique.

« On a été vraiment chanceux d’avoir une place à l’école. Ça a été une bénédictio­n pour ma fille et pour nous », raconte Andrée Dallaire. Elle et son conjoint André Bourbonnai­s (qui n’est pas le père de l’adolescent­e), directeur général du fonds BlackRock Long Term Private Capital, coprésiden­t la campagne de financemen­t du projet.

Andrée Dallaire a dû abandonner son poste de vice-présidente d’un fonds de placement immobilier pour s’occuper à temps plein de Catherine, sa fille autiste. L’adolescent­e de 14 ans a le niveau académique d’une enfant de maternelle. À une période de sa vie, il n’y a pas si longtemps, Catherine se levait à 3 h du matin. Sa mère ne pouvait jamais dormir une nuit complète.

Le couple et leurs partenaire­s ont réussi le tour de force d’amasser 27 millions de dollars en dons privés en pleine pandémie, uniquement par des rencontres virtuelles. « Tous les parents qui ont des enfants avec des besoins spéciaux vont dire qu’il n’y a jamais assez de financemen­t. Tout le monde voudrait plus d’argent. Mais on est contents que le ministère de l’Éducation ait investi dans le projet », dit André Bourbonnai­s.

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