Le Devoir

Le 11 septembre à travers l’histoire personnell­e d’artistes d’origine arabe

Le 11 septembre et moi se présente comme un « docuvariét­é » qui plonge dans l’histoire personnell­e de six artistes québécois d’origine arabe

- AMINAH HANNAN

Confusion, angoisse, peur et colère : si les attentats du 11 Septembre 2001 ont créé une onde de choc à travers le monde entier, ils ont carrément bouleversé la vie de jeunes maghrébins grandissan­t en Occident. Vingt ans plus tard, six Québécois d’origine arabe qu’on connaît aujourd’hui pour leurs talents de chanteur, de slameur, de danseur ou d’humoriste ont accepté de raconter leur histoire dans une websérie diffusée dès mercredi sur le site de Télé-Québec.

Composé de six capsules d’environ dix minutes chacune, Le 11 septembre et moi se présente comme un « docuvariét­é » qui plonge dans l’histoire personnell­e des invités. Dans un format mêlant entrevues et performanc­es intimistes, les artistes racontent leur « avant » et leur « après » 11 septembre 2001, lorsque, du jour au lendemain, tout a irrémédiab­lement changé. Dans un décor simple mais sombre, ils expliquent à tour de rôle comment cet événement les a plongés dans une complexe remise en question, autant leur rapport avec leurs origines que leur place dans la société québécoise.

L’autrice-compositri­ce-interprète Ines Talbi y évoque par exemple le sentiment d’exclusion qui l’a habité après les attentats. Elle parle de ces regards et ces questions qui ont perdu leur bienveilla­nce après ce mardi de septembre 2001. Ce rejet — marquant pour une adolescent­e de 17 ans née à Montréal — l’a menée à exploiter le plus possible son côté québécois sur scène, sans pouvoir (ou vouloir) aborder ses origines tunisienne­s et berbères. « Je trouvais qu’on m’en imposait beaucoup pour quelqu’un qui avait des références comme Passe-Partout », admet-elle dans la série. « Je suis en colère contre cet événement-là, parce que j’ai l’impression que ça m’a usurpé du temps de qualité avec mes origines, avec mon histoire. »

Elkahna Talbi — alias Queen Ka — avait 22 ans en 2001. Déjà adulte, son expérience a donc été nettement différente de celle de sa soeur. Artiste de poésie orale, elle a d’ailleurs choisi son nom de scène pour honorer la beauté de ses origines, combattre les représenta­tions de plus en plus hostiles et tendancieu­ses envers les Moyen-Orientaux et donner envie aux immigrants de deuxième génération d’embrasser leur double identité.

Exutoire

« Quand tu te retrouves dans des situations comme ça, t’es mieux d’en rire que d’en pleurer », affirme le comédien Mehdi Bousaidan dans un numéro d’humour sur son arrestatio­n par le SWAT (groupe tactique d’interventi­on) pour une histoire de fausse arme à feu, à la suite de ce qu’il décrit comme du profilage racial. Pour lui, qui a grandi dans un foyer algérien, l’humour est devenu un exutoire, une façon de persévérer. Et il se demande s’il serait là où il est aujourd’hui sans cet événement qui a façonné sa personnali­té.

L’autrice-compositri­ce-interprète Safia Nolin et le rappeur du groupe Loco Locass Chafiik rendent pour leur part hommage à un Québec et à un monde métissé et uni, avec des prestation­s transcenda­nt les frontières et les langues. Le profession­nel en danse urbaine Rahmane Belkebiche livre quant à lui un

freestyle vulnérable et animé pour souligner le rassemblem­ent, « peu importe le moment, la couleur, le décor, avec qui on est ».

« Pour vrai, je me suis senti libéré d’un poids, comme si tout ce que j’avais ressenti dans ma tête [avait été validé] », affirme-t-il en entrevue avec

Le Devoir, se disant heureux d’avoir participé au tournage de cette série. « J’étais avec des gens qui avaient

process [le 11 Septembre] d’une autre manière, qui avaient réussi à répondre à ces questions-là. Ça m’a vraiment outillé et ça m’a permis de faire de belles rencontres. C’était drainant émotivemen­t de s’ouvrir comme ça, mais j’ai été 100 % inspiré. »

Ines Talbi a par ailleurs un conseil pour tous les jeunes issus de minorités visibles qui s’interrogen­t sur leur identité. « On n’est pas responsabl­es, on n’est pas obligés de porter l’horreur sur nos épaules », soutient-elle en entrevue. « Malgré ce qu’on peut nous dire, malgré les propos haineux, il faut essayer de garder le cap et de ne pas diminuer nos racines juste parce que les autres ont peur de quelque chose qui ne nous appartient pas. »

Chants, récits, prestation­s et échanges intimes : chaque artiste a sa manière bien à lui d’exprimer son « après » 11 Septembre dans le cadre de la websérie. Une expérience studio de 52 minutes avec tous les artistes pourra également être visionnée dès le jeudi 9 septembre.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Ines Talbi a un conseil pour tous les jeunes issus de minorités visibles qui s’interrogen­t sur leur identité : « On n’est pas responsabl­es, on n’est pas obligés de porter l’horreur sur nos épaules. »
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PICBOIS PRODUCTION­S Rahmane Belkebiche, Safia Nolin, Chafiik, Ines et Elkahna Talbi et Mehdi Bousaidan sont les participan­ts de la websérie Le 11 septembre et moi, animée par Nicolas Ouellet.

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