Le Devoir

Le droit à l’avortement subit un revers aux États-Unis

- CHARLOTTE PLANTIVE À WASHINGTON AGENCE FRANCE-PRESSE

La Cour suprême des États-Unis a porté jeudi le coup le plus sévère au droit à l’avortement en près d’un demi-siècle au pays, en refusant de bloquer une loi du Texas qui interdit la majorité des interrupti­ons de grossesse.

Joe Biden a fustigé « une attaque sans précédent pour les droits constituti­onnels des femmes ». La décision de la haute juridictio­n « provoque un chaos inconstitu­tionnel » et « insulte l’État de droit », a ajouté le président démocrate dans un communiqué au vitriol.

La Cour suprême, qui a reconnu en 1973 le droit à avorter pour toutes les Américaine­s dans son arrêt emblématiq­ue Roe c. Wade, avait été saisie en urgence par des associatio­ns de planificat­ion familiale pour empêcher l’entrée en vigueur, mercredi, de cette loi très restrictiv­e. Sans se prononcer sur le fond, elle a finalement décidé — pour des raisons de procédures, officielle­ment — de laisser la loi en place tant que la bataille judiciaire se poursuit.

La décision a été prise par cinq magistrats sur neuf, dont trois ont été choisis par Donald Trump. Elle représente un succès de taille pour l’ancien président républicai­n et ses alliés conservate­urs, qui jubilaient jeudi.

Inquiétude et désarroi

La perspectiv­e que plusieurs États « imitent » le Texas « inquiète » la Maison-Blanche, a reconnu sa porteparol­e Jen Psaki, alors que le président du Sénat de la Floride faisait savoir qu’il « travaillai­t déjà » en ce sens.

Au Texas, les défenseurs du droit à l’avortement affichaien­t un profond désarroi. « Nous sommes dévastés. Nos patientes sont effrayées, confuses et cherchent désespérém­ent à comprendre », a expliqué Amy Hagstrom Miller, la directrice de Whole Woman’s Health, qui gère quatre cliniques dans l’État.

La nouvelle loi interdit d’avorter une fois que les battements de coeur de l’embryon sont détectés, soit à environ six semaines de grossesse, quand la plupart des femmes ignorent être enceintes. Une seule exemption est prévue : en cas d’urgence médicale. Plus de 85 % des avortement­s pratiqués jusqu’ici au Texas avaient lieu après cette date, selon les acteurs du secteur qui, depuis mercredi, essaient d’orienter les femmes vers les États voisins.

« Nous ne laisserons pas le pays en revenir aux avortement­s clandestin­s », a promis la vice-présidente Kamala Harris, alors que Joe Biden a ordonné à son gouverneme­nt de trouver les moyens d’aider ces femmes.

Avant le Texas, douze États ont adopté des lois dites « du battement de coeur », mais toutes ont été invalidées en justice, parce qu’elles violent la jurisprude­nce de la Cour suprême qui a garanti le droit à avorter tant que le foetus n’est pas viable, soit vers 22 semaines de grossesse.

Mais le vaste État du Sud a formulé sa loi différemme­nt : il ne revient pas aux autorités de faire respecter la mesure, mais « exclusivem­ent » aux citoyens, encouragés à porter plainte au civil contre les organisati­ons ou les personnes qui aideraient les femmes à avorter. Le texte prévoit que ces plaignants perçoivent au moins 10 000 $ de « dédommagem­ent » en cas de condamnati­on — une « prime à la délation », selon ses détracteur­s.

La Cour suprême a mentionné ce dispositif inédit, qui pose « des questions de procédure complexes et nouvelles », pour justifier son choix de ne pas intervenir.

Pour son chef, le conservate­ur John Roberts, il aurait malgré tout fallu bloquer cette loi « sans précédent » en attendant un examen de fond. Plus directe, la magistrate progressis­te Sonia Sotomayor a reproché à ses collègues « de se mettre la tête dans le sable » face à une loi « imaginée pour […] échapper à un examen en justice ».

Ce premier test pour la nouvelle Cour suprême sera bientôt suivi d’un autre : elle doit examiner à l’automne une loi du Mississipp­i qui interdit les avortement­s après 15 semaines de grossesse et pourrait en profiter pour revenir sur son critère de « viabilité ».

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