Le Devoir

Patient recherche médecin de famille

- MARIE-EVE COUSINEAU

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a fait de l’accès aux médecins de famille un dossier « prioritair­e ». Il a du pain sur la planche. Dans certains secteurs de Montréal, un tiers des citoyens n’ont toujours pas de médecin de famille, selon des données gouverneme­ntales obtenues par Le Devoir. Le délai d’attente moyen, pour les patients vulnérable­s, est d’au moins un an et demi dans quatre régions du Québec.

Le Devoir a demandé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) la proportion de citoyens inscrits à un médecin de famille dans chaque région du Québec ainsi que le délai moyen d’attente pour les patients jugés prioritair­es et non prioritair­es au guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF). Les données fournies datent du 31 juillet.

C’est à Montréal que le taux d’inscriptio­n est le plus faible. Au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 64,3 % des citoyens ont un médecin de famille, selon le MSSS. Cette proportion s’élève à 64,8 % au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal ne font guère mieux avec respective­ment 66,7 % et 69,7 %.

Au Québec, 80,2 % des citoyens sont inscrits auprès d’un médecin de famille, d’après le MSSS.

Dans plusieurs régions, les patients jugés prioritair­es (ex. : âgé de 70 ans et plus ; atteint d’un cancer actif ou du VIH-sida) doivent prendre leur mal en patience. Le délai d’attente moyen au GAMF est d’au moins un an et demi au CIUSSS de l’Estrie, au CISSS de la Montérégie-Centre, au CISSS de la Montérégie-Est et au CISSS des Îlesde-la-Madeleine.

À l’échelle provincial­e, ce délai moyen est d’environ un an et trois mois (451 jours). Il atteint un an et huit mois (602 jours) dans le cas des patients jugés non prioritair­es, c’est-à-dire des personnes qui s’estiment en « mauvaise santé » ou qui affirment être en « bonne santé », selon le MSSS.

Mais cette attente peut se prolonger. Maxime Dontigny, 35 ans, s’est inscrit en 2015 au GAMF à la suite d’une thrombose veineuse profonde dans sa jambe droite. Depuis, pas de nouvelle. « Un moment donné, ça devient plus une blague qu’autre chose », dit le citoyen de Longueuil.

Maxime Dontigny a mis à jour son dossier au GAMF en 2020, après avoir été hospitalis­é pour une thrombose veineuse à la jambe gauche. On lui a alors découvert un syndrome de MayThurner, une affection vasculaire rare qui augmente le risque de thrombose du genre. « Je dois prendre des anticoagul­ants à vie », dit-il.

Il aimerait bien être suivi par un médecin de famille étant donné son problème de santé. En attendant, il est suivi par un médecin de l’hôpital Charles-Le Moyne, un centre hospitalie­r situé Greenfield Park, où il a été hospitalis­é.

Pire à Montréal

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-deMontréal détient le deuxième pire taux d’inscriptio­n à un médecin de famille au Québec. Une situation qui s’explique, selon l’établissem­ent, par le fait que bien des citoyens habitant à l’extérieur de la métropole ont un médecin de famille à Montréal. Le nombre de médecins étant limité, ce phénomène de mobilité limite la prise en charge de patients vivant sur l’île, précise-t-on.

La Régie de l’assurance maladie du Québec confirme cette tendance. En date du 23 juillet, le quart des quelque 1 580 000 patients inscrits auprès d’un médecin de famille de Montréal résidaient à l’extérieur de la métropole.

Le Dr Louis Dagenais, médecin responsabl­e du GMF-R En route au Complexe Desjardins, suit beaucoup de ces patients. « Ils travaillen­t au centre-ville, tout près de la clinique », dit-il. Il est donc pratique, pour eux, de voir leur médecin à proximité du bureau.

Bien des patients ont obtenu un médecin de famille quand ils habitaient à Montréal et l’ont conservé même s’ils ont déménagé, relève le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ).

« Mais il manque de médecins à Montréal, et il en manque partout », soulignet-il. La « pénurie » est « peut-être plus importante dans les régions urbaines » en raison de l’accroissem­ent de la population et du fait que les médecins y sont « beaucoup plus âgés », estime-t-il.

Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Îlede-Montréal, 36 médecins de famille ont pris leur retraite depuis mars 2020. « Nous en avons accueilli 20 nouveaux, dit son porte-parole Jean-Nicolas Aubé. C’est un déficit de 16. »

Pénurie de médecins de famille ?

Sans reconnaîtr­e qu’il y a pénurie, le MSSS admet qu’il y a des « besoins de médecins de famille » dans « toutes les régions ». Dans un courriel, le ministère souligne que le nombre de nouvelles inscriptio­ns en médecine est passé de 830 en 2019-2020 à 901 en 2020-2021. Il atteindra 915 en 2021-2022. « Le nombre prévu d’admissions en médecine pour 2022-2023 est de 969 », soit une augmentati­on de 54, ajoute le MSSS.

D’ici à leur diplomatio­n, le MSSS affirme travailler au déploiemen­t d’un guichet d’accès à la première ligne, visant à répondre aux besoins ponctuels des patients en attente d’un médecin de famille. Il mise sur la « pratique interdisci­plinaire » et le recours, entre autres, aux infirmière­s praticienn­es spécialisé­es (IPS).

À court terme, le Dr Louis Godin croit aussi que l’aide d’autres profession­nels est nécessaire pour améliorer l’accès à la première ligne. Il assure que ses membres ne chôment pas. « On oublie toujours qu’ici au Québec, les médecins travaillen­t beaucoup plus à l’hôpital que les autres médecins ailleurs au Canada », martèle-t-il. La profession, répète-t-il, doit aussi être valorisée.

Damien Contandrio­poulos, professeur à l’École des sciences infirmière­s de l’Université de Victoria, croit que la solution au problème d’accès à la première ligne réside davantage dans la collaborat­ion entre profession­nels (infirmière, travailleu­rs sociaux, pharmacien­s, etc.) que dans l’augmentati­on du nombre de finissants en médecine. « Quand on regarde la majorité des visites en première ligne, c’est pour des patients qui ont une maladie chronique prédiagnos­tiquée et qui ont besoin de suivi, indique Damien Contandrio­poulos. Une infirmière clinicienn­e est parfaiteme­nt capable d’assurer la majorité de ces visites-là. »

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