Le Devoir

À Sudbury, les malheurs de l’Université Laurentien­ne teintent la campagne électorale

- ÉTIENNE LAJOIE INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL À SUDBURY

Dans les rues de Sudbury et dans ses villages environnan­ts, tout le monde semble être touché, de près ou de loin, par l’abolition de près de 70 programmes à l’Université Laurentien­ne. Sophie Benoit, une diplômée en promotion de la santé qui vit à Val Caron, a vu son ancien programme éliminé. La nièce d’une électrice rencontrée au centre-ville de Sudbury a dû partir étudier à Ottawa. Le fils de Donald Dennie, un professeur à la retraite, a perdu son emploi. Malgré tout, certains électeurs hésitent à blâmer quiconque pour les déboires de l’université.

Depuis des mois, le NPD accuse les deux députés libéraux de la région, Paul Lefebvre et Marc G. Serré, d’avoir laissé l’Université Laurentien­ne se mettre à l’abri de ses créanciers en raison de leur inaction. À leur tour, les députés fédéraux ont accusé le gouverneme­nt ontarien de ne pas avoir répondu à leurs appels et à la délégation provincial­e du NPD, qui détient les deux sièges à Queen’s Park, de ne pas avoir réagi à temps. La semaine dernière, le débat s’est transporté sur la scène électorale : le campus a eu la visite de Jagmeet Singh et de Justin Trudeau, venus défendre tour à tour leur plateforme en matière d’éducation postsecond­aire en français en milieu minoritair­e.

Comme presque chaque année, la compétitio­n entre le Parti libéral et le NPD est féroce dans la région. Les courses dans les circonscri­ptions de Sudbury et Nickel Belt, qui regroupe des dizaines de villages en banlieue, comme Val Caron, ont longtemps alterné entre les deux partis. Selon le site d’analyse de sondages 338Canada.com, Nickel Belt penche en faveur du NPD cette année, tandis que Sudbury pourrait aller tant aux libéraux qu’aux néodémocra­tes.

« Il y a 300 personnes comme moi qui sont très énervées [en raison de la crise à la Laurentien­ne], mais ça ne fait pas une élection », prévient toutefois l’ancienne professeur­e de science politique Aurélie Lacassagne, licenciée lors des mises à pied en avril. « La catastroph­e économique et sociale de la Laurentien­ne ne sera pas encore assez visible le jour de l’élection pour que les gens fassent payer à ceux qui devraient payer », dit-elle. Faute de pouvoir déterminer un responsabl­e pour la crise en septembre 2021, ce sont les candidats élus dans trois semaines qui pourraient avoir à subir le mécontente­ment des électeurs dans les prochaines années.

Répercussi­ons économique­s

Le centre-ville de Sudbury a vu des jours meilleurs, remarque Valerie Fremlin, l’une des propriétai­res de La Fromagerie, rue Elgin. À une certaine époque, les rues du quartier bourdonnai­ent d’étudiants. Les commerçant­es comme Valerie Fremlin et Veronica Desjardins, gérante du bar Laughing Buddha, s’attendent à ce que la situation empire dans les prochaines années. Elles font partie des premières personnes qui vivront cette catastroph­e économique, qui coûtera plus de 100 millions de dollars à l’économie locale.

La Place des Arts du Grand Sudbury, bâtiment dont l’ouverture est imminente, suivra probableme­nt. L’immeuble deviendra bientôt le quartier général de la communauté culturelle francophon­e de Sudbury, mais l’éliminatio­n de près de 30 programmes en français a déjà mené au départ de la région de plusieurs professeur­s, un public cible de l’institutio­n. Les programmes de théâtre et littératur­e, où était formée la relève, ne sont plus offerts. « J’ai rencontré certains administra­teurs cette semaine, et ils se grattent beaucoup la tête », admet Thierry Bissonnett­e, un professeur émérite récemment licencié.

« Ça me brise le coeur », se désole Nadia Verrelli, candidate du NPD dans Sudbury. La néodémocra­te, politologu­e de formation, faisait partie elle aussi du groupe de professeur­s mis à la porte. L’idée de se présenter dans la circonscri­ption lui trottait dans la tête depuis la fin de 2020. « Lorsque la Laurentien­ne s’est prévalue de la Loi sur les arrangemen­ts avec les créanciers des compagnies (LACC) et que les députés n’étaient pas là pour la communauté, j’ai pensé “c’est assez” », dit-elle.

Ça me brise le coeur NADIA VERRELLI

Du nouveau chez les libéraux

La cible de ses critiques, le député sortant Paul Lefebvre, n’est par contre pas là pour les recevoir durant la campagne. En effet, en mars, le Sudburois a annoncé qu’il ne tenterait pas d’obtenir un troisième mandat. Il soutient ne pas avoir su d’avance que l’université se mettrait à l’abri de ses créanciers. Sa successeur­e, Viviane Lapointe, priorise la relance économique et la création d’emplois, le soutien des aînés et les mesures pour lutter contre les changement­s climatique­s.

Mais la candidate n’a pas manqué de condamner les propos de Jagmeet Singh sur le dossier de la Laurentien­ne à la suite de son passage à Sudbury le 28 août. Le chef du NPD s’est alors opposé à une mesure encouragée par les francophon­es du nord : le transfert de tous les programmes en français restant à l’Université Laurentien­ne vers l’Université de Sudbury, une plus petite université qui veut devenir autonome. Deux députés provinciau­x du NPD l’avaient pourtant demandé en avril. Sur les réseaux sociaux, Viviane Lapointe a qualifié les commentair­es du chef de « très désobligea­nts » envers la communauté francophon­e. Interrogée par Le Devoir, la candidate n’a toutefois pas indiqué clairement si elle était en faveur du transfert. Son collègue Marc G. Serré garantit pour sa part son appui.

Dans une région où la connaissan­ce des enjeux locaux d’un candidat peut faire la différence entre une victoire et une défaite, un commentair­e comme celui de M. Singh peut rapidement causer des remous. « C’est une frustratio­n constante chez les électeurs nordontari­ens que les gens ne comprennen­t pas leurs enjeux », analyse David Tabachnick, professeur de science politique à l’Université Nipissing.

Mais dans les deux circonscri­ptions, la différence d’opinions sur le dossier ne tient pas les électeurs en haleine.

Élections controvers­ées

Devant l’épicerie Metro de Val Caron, Diane Généreux ne mâche pas ses mots avant l’arrivée de son conjoint, Denis, venu se joindre à la conversati­on. « Justin Trudeau n’aurait pas dû déclencher les élections. Jeune, je votais pour le Parti libéral. En vieillissa­nt, le parti me rejoint moins. Il ne fait pas assez pour les aînés », juge la Franco-Ontarienne.

À 20 minutes à l’ouest, dans le village de Chelmsford, Pam Perron, une répartitri­ce du service des urgences 911, décrit son député, Marc G. Serré, comme une personne « phénoménal­e », mais confie qu’elle ne veut pas voir Justin Trudeau réélu premier ministre. Marc G. Serré, pense-t-elle, a choisi le mauvais parti. La résidente de Chelmsford s’est rendue à l’aéroport de Sudbury pour observer l’arrivée du chef libéral le 31 août. « On n’aurait pas dû avoir des élections », commente Lisa Laurin, une électrice du NPD depuis l’âge adulte, qui estime que son ancien représenta­nt à la Chambre des communes et Paul Lefebvre sont « absolument responsabl­es » de la crise à la Laurentien­ne.

Sur la terrasse feuillue du Kuppajo Espresso Bar, au centre-ville de Sudbury, le professeur à la retraite de l’Université Laurentien­ne Donald Dennie qualifie l’élection de « dépense d’argent inutile ». Le professeur vote presque toujours NPD, mais pense néanmoins que la gestion de l’université est une responsabi­lité provincial­e. Sue, qui a voté pour le NPD, le Parti libéral et les conservate­urs, dans le passé, est toujours indécise. Mais elle n’est pas prête à blâmer les députés libéraux pour la restructur­ation de l’université.

Si les candidates du NPD — Nadia Verrelli dans Sudbury et Andréane Chénier dans Nickel Belt — veulent l’emporter, elles devront faire une « campagne de fond et de terrain beaucoup plus importante » que les libéraux, pense Aurélie Lacassagne.

Le 1er septembre au soir, les deux candidates de Sudbury parcouraie­nt les rues de la ville : Viviane Lapointe au sud et Nadia Verrelli dans le quartier ouvrier du Moulin à fleur. Viviane, Lapointe accompagné­e d’une ancienne conseillèr­e municipale de la ville de Sudbury, qui la dirigeait à des portes spécifique­s grâce à l’applicatio­n Libéralist­e ; Nadia Verrelli, assistée de deux de ses anciens étudiants de l’Université Laurentien­ne, calepins en main.

 ?? PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE ?? Depuis des mois, le NPD accuse les deux députés libéraux de la région de Sudbury, Paul Lefebvre et Marc G. Serré, d’avoir laissé l’Université Laurentien­ne se mettre à l’abri de ses créanciers en raison de leur inaction. Sur la photo, Jagmeet Singh lors de son passage à Sudbury, à la fin du mois d’août.
PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE Depuis des mois, le NPD accuse les deux députés libéraux de la région de Sudbury, Paul Lefebvre et Marc G. Serré, d’avoir laissé l’Université Laurentien­ne se mettre à l’abri de ses créanciers en raison de leur inaction. Sur la photo, Jagmeet Singh lors de son passage à Sudbury, à la fin du mois d’août.
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