Passer à côté de sa mission
Personne n’attendait dans le rapport de la Commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, une ode à l’efficience et à la qualité du fonctionnement du réseau de la santé. Et en effet, le bilan qu’elle trace dans son rapport préliminaire souligne très directement les faiblesses dans la gouvernance de notre système : absence de stratégie globale et gestion à la pièce, problèmes importants de transparence et de circulation d’information, contrôle de la qualité déficient. Le tout ayant mené à des errements tragiques dans la gestion de la première phase de la pandémie, comme en fait foi l’hécatombe survenue dans les CHSLD.
Les rapports auscultant le réseau de la santé du Québec s’empoussièrent et se multiplient. Dans l’analyse aux conclusions navrantes présentée la semaine dernière, la commissaire Castonguay et son équipe ont creusé plusieurs de ces documents présentés en grande pompe aux gouvernements précédents, au gré des multiples réformes subies par le système de santé, ce colosse aux pieds d’argile. On note avec effarement que ces analyses concluent presque invariablement toujours la même chose : 24 recommandations, les mêmes, ont été regroupées par la Commissaire comme autant de pistes et de solutions jadis trouvées pour améliorer les problèmes, mais hélas visiblement jamais mises en action.
Pourquoi ? Une partie de la réponse complexe qu’une telle interrogation suggère réside peut-être en plein coeur du rapport de la CSBE, là où on comprend que les mécanismes de contrôle de la qualité et de la performance du réseau de la santé sont axés sur les activités et la disponibilité des ressources humaines et financières. La mission des composantes du ministère de la Santé et des Services sociaux est bel et bien de veiller sur l’état de santé des patients, mais la mesure des résultats n’est pas du tout orientée vers cet indice pourtant crucial. Page 37 du rapport : « Le CSBE a constaté d’emblée que très peu de cibles portent sur l’état de santé et de bien-être des patients, donc sur les résultats, et cela, bien que la mission du MSSS soit d’améliorer et de restaurer la santé et le bien-être des Québécois. »
Des trésors d’énergie, de compétence et de dévouement auront beau être dépensés dans les différentes composantes du système de santé, ce dont on ne doit pas douter, les effets seront dilués si l’absence de cohésion globale vient mettre à mal les besoins du patient ! Au Québec, la province canadienne où le vieillissement de la population est le plus grand, seulement 6 % de la population âgée de 75 ans et plus réside en CHSLD, le reste habitant à domicile ou dans une résidence privée sans unité de soins. Les effets de l’absence de cohésion et de vision globale ? Imaginons une personne âgée résidant chez elle, mais ayant besoin de recourir à certains soins à domicile de la part de son CLSC et de son médecin en clinique. Dans un monde idéal, un seul point de contact permettrait d’accéder à ces services, avec un seul dossier patient accessible à tous, et des objectifs et des directions allant tous dans un seul sens, soit celui du bien-être du patient. Le Québec et ses nombreuses réformes qui ont balafré le réseau de la santé ne manoeuvrent actuellement pas du tout dans ce sens. Notre pauvre patient doit multiplier les démarches, et les résultats qu’il obtient à gauche comme à droite ne sont pas partagés.
Dans son rapport qui décortique les mécanismes de contrôle de qualité mis en place dans les ressources pour personnes âgées, la CSBE ne peut passer outre à une réflexion grave : aurait-on pu éviter une tragédie d’une telle ampleur dans les CHSLD si le contrôle et le suivi de la qualité avaient été au coeur d’une stratégie bien ficelée ? Si les mécanismes de transmissions d’information au sein des ressources avaient été plus efficaces ? Au plus fort de la crise, des informations aussi vitales que le dénombrement et la localisation des personnes infectées, la disponibilité et les horaires des employés, le traçage des malades et les personnes avec qui ils avaient été en contact ou encore l’inventaire du matériel de contrôle des infections ont manqué à l’appel ou ont été difficiles à trouver, ce qui a accentué les problèmes de transmission du virus.
Un énième rapport brossant un tableau sombre de l’état du réseau de santé au Québec ? Que n’avons-nous pas lu, dit, entendu sur le gigantisme de ce réseau et son incapacité à trouver un mode de gouvernance lui permettant de mener à bien sa mission — la qualité des soins aux patients, pas le contrôle des coûts ni des ressources ? La CAQ a demandé à la Commissaire de produire ce diagnostic, dont le rapport final sera sûrement encore plus incisif. Il lui faudra désormais le courage politique de mettre en marche les recommandations qu’on lui propose, sans réformer ni rebâtir, mais en recentrant les objectifs de toutes les composantes du réseau de la santé autour du bien-être des patients.