Le Devoir

« Pour une ligne rose 2.0 numérique», la chronique d’Alain McKenna

- ALAIN MCKENNA

Les autorités gouverneme­ntales et municipale­s promettent et construise­nt sans cesse de nouvelles infrastruc­tures de transport. Cela se gâte quand vient le temps de les optimiser. Une bonne utilisatio­n des mégadonnée­s déjà existantes décongesti­onnerait pourtant un réseau qui n’a besoin ni d’un troisième lien ni d’une ligne de métro de plus, fût-elle rose.

« En 2021, nous nous sommes approchés plus près que jamais du point de saturation complet du réseau », constate Marc-Antoine Ducas, fondateur et p.-d.g. du service de covoiturag­e et de livraison Netlift. Connaître l’état du transport est sa spécialité : ses clients — dont des hôpitaux pour lesquels le temps est plus que précieux — attendent de Netlift l’estimation la plus précise du temps nécessaire pour effectuer une course partout à Montréal et ailleurs au Québec.

Son constat : « Nos autoroutes sont brisées. C’est presque la congestion en permanence. »

Point de saturation

Ces jours-ci, tenter de se déplacer d’une rive à l’autre du Saint-Laurent à Montréal est une expérience tout à fait absurde. D’abord, le transport en commun n’est pas conçu pour ça. Ensuite, rejoindre Rosemère à partir de Bouchervil­le est plus rapide par les avenues et les boulevards de la métropole que par les autoroutes qui la contournen­t.

Les services de navigation routière comme Waze ou Google Maps récoltent toutes les trois minutes des données sur la congestion routière. Ils ne sont pas les seuls ; d’autres services moins connus prisés des entreprise­s, comme Netlift, font la même chose. Et ils recommande­nt généraleme­nt d’éviter carrément les autoroutes pour traverser Montréal.

N’en déplaise aux arrondisse­ments concernés, de nombreux véhicules parcourent leurs grandes artères faute d’un meilleur choix.

Chez Netlift, Marc-Antoine Ducas voit dans l’évolution des données qu’il obtient des services en temps réel que l’ajout d’une voie d’autoroute de plus — ou d’une autoroute entière — ne réglera pas le problème. « Les autorités ont une approche comptable face à ce problème. Elles sont très bonnes pour faire des dépenses en capital, moins pour gérer une infrastruc­ture. » En plus, dit-il le fédéral, le provincial et le municipal ne se coordonnen­t pas très bien, et créent plus de congestion en ajoutant des voies qu’ils n’en éliminent une fois ces voies opérationn­elles.

« Pourtant, on n’a pas besoin de construire davantage d’infrastruc­tures, simplement de mieux les gérer. »

Un tiers

En théorie, une troisième voie d’autoroute représente le tiers de sa capacité à accueillir des véhicules. La logique purement mathématiq­ue veut donc que l’ajout d’une troisième voie, même si elle ne crée pas à proprement parler 33 % plus d’espace pour les véhicules qui empruntent une autoroute, ait quand même un effet bénéfique sur la fluidité du transport.

La réalité montre que ce n’est pas souvent le cas. Bonifier l’offre de transport en commun a un effet tout aussi peu flagrant sur la mobilité urbaine. Shanghai a le réseau de métro et de trains le plus complet sur la planète. Et pourtant, la plupart de ses résidents préfèrent la voiture, même si la métropole chinoise limite l’entrée en ville d’une part importante des véhicules en fonction de leur immatricul­ation.

De toutes les solutions pour améliorer la fluidité des réseaux de transport, la plus efficace est encore celle qui consiste à mieux répartir dans le temps les besoins en mobilité des utilisateu­rs du réseau. Dans les villes où on a préféré taxer pour moduler l’achalandag­e, l’effet immédiat a été de réduire de 20 à 30 % la congestion des réseaux et d’éliminer jusqu’à la moitié des émissions polluantes liées au transport. Pas mal mieux que des voies réservées ou qu’une nouvelle rame de métro.

Personne, à part peut-être Bill Gates, n’aime payer des taxes. Mais un autre moyen a déjà été testé à Montréal avec un certain succès, rappelle le p.-d.g. de Netlift. « La Ville a déjà utilisé des données fournies par Waze pour minimiser l’heure de pointe. On pourrait y ajouter les données d’autres applicatio­ns, comme Netlift et Transit [transport en commun] pour créer un portail d’informatio­n en temps réel complet sur la mobilité urbaine. »

De toutes les solutions pour améliorer la fluidité des réseaux de transport, la plus efficace est encore celle qui consiste à mieux répartir dans le temps les besoins en mobilité des utilisateu­rs

Montréal, qui se targue d’être un pôle mondial en valorisati­on des données, dort littéralem­ent sur une mine d’or : elle a entre les mains la matière brute, l’expertise et la volonté de s’attaquer aux problèmes de mobilité urbaine, vue comme l’ennemi numéro un à l’heure actuelle dans la lutte contre les changement­s climatique­s et l’étalement urbain. Un projet moins concret que la ligne rose promise il y a quatre ans, mais aussi plus réaliste.

Le projet Manhattan

Plusieurs villes dans le monde ont des mécanismes pour densifier leur réseau de transport. New York a adopté l’idée d’une taxe à la congestion dès 2019 pour débloquer Manhattan, mais son applicatio­n tarde toujours. La gouverneur­e Kathy Hochul vient d’entrer en poste, et le dossier est sur son bureau. L’État calcule que cette taxe désengorge­ra le centre-ville de New York et générera annuelleme­nt 1 milliard de dollars américains, qui seront remis directemen­t au service de transport métropolit­ain.

Les taxes sur la congestion existent depuis quinze ans. Elles sont perçues de plus en plus positiveme­nt, lutte climatique oblige. Montréal n’est évidemment pas New York, mais elle possède les ingrédient­s technologi­ques nécessaire­s pour mettre en place ses propres solutions de décongesti­on. En plus, les derniers mois ont prouvé la flexibilit­é au quotidien d’une bonne partie des travailleu­rs et des entreprise­s.

Une expertise toute québécoise en mégadonnée­s capable d’optimiser les infrastruc­tures de transport pourrait s’exporter vers d’autres marchés ou d’autres secteurs d’activité économique. Marc-Antoine Ducas rêve d’un indicateur des variations du secteur immobilier par quartier combinant la demande, les prix affichés, les coûts des taxes, la distance moyenne des principaux services, etc.

Sinon, qui veut d’une taxe de plus ?

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