Une relance à géométrie variable
Même si la morosité laisse peu à peu place à l’espoir chez les commerçants, les artères commerciales du centre-ville continuent de subir durement la pandémie
La morosité causée par la pandémie a laissé place à l’espoir et aux bonnes affaires dans plusieurs artères commerciales de Montréal, qui ont bénéficié de la relance économique des derniers mois. Le centre-ville continue toutefois de subir durement la pandémie, tandis que la pénurie de main-d’oeuvre place de nombreux commerces devant des choix déchirants.
La rue Wellington, à Verdun, qui a été réservée aux piétons pour un deuxième été de suite, a bénéficié dans les derniers mois d’une manne d’acheteurs et de passants dans un secteur en plein boom immobilier. Le taux d’inoccupation des commerces a ainsi chuté à 6,07 %, contre plus de 8 % il y a deux ans, notamment grâce à l’ouverture de près d’une trentaine de nouveaux établissements depuis le début de la pandémie.
« Oui, je pense qu’il y a une reprise », lance sans détour le propriétaire de la brasserie Benelux, Hugues Gagnon, qui se réjouit d’avoir pu aménager une terrasse dans la rue Wellington cet été, augmentant ainsi la capacité d’accueil de son établissement.
« Toutes les deux minutes, on croise quelqu’un qui a un de nos chapeaux sur la tête », lance Mariouche Gagné, la directrice artistique et du développement de l’atelier-boutique d’Harricana-Canadian Hat, qui fait des affaires d’or depuis son ouverture dans l’artère commerciale de Verdun, l’an dernier.
« Des signes encourageants »
L’hiver dernier a été rude pour les commerçants, notamment pour la boutique Kitsch’n Swell sur le boulevard Saint-Laurent. Mais avec le retour du beau temps et l’allégement des consignes sanitaires, les clients sont
Depuis un mois, on a vraiment vu une augmentation assez incroyable du nombre de clients. Il y a des touristes du reste du Canada ou des États-Unis. Ça a fait une immense différence, on a fait des ventes comme dans le temps des Fêtes!
RAPHAËLLE BONIN
revenus, se réjouit la propriétaire de l’établissement, Karine Gauthier. « On a eu quelques touristes. Les filles de Toronto nous ont fait de belles grosses factures », dit-elle en plaisantant.
Un peu plus au nord sur le boulevard, la propriétaire de la boutique Station Service, Raphaëlle Bonin, explique avec le sourire que les ventes vont mieux depuis quelques semaines, après un lent début de saison. « Depuis un mois, on a vraiment vu une augmentation assez incroyable du nombre de clients. Il y a des touristes du reste du Canada ou des États-Unis. Ça a fait une immense différence, on a fait des ventes comme dans le temps des Fêtes ! » souligne-t-elle, réjouie.
Toutefois, les niveaux d’achalandage restent loin d’être comparables à ceux qui prévalaient sur « la Main » avant la pandémie, note la SDC du boulevard Saint-Laurent. Les piétons sont aussi nombreux à circuler chaque jour sur l’avenue du Mont-Royal, qui, elle aussi, leur a de nouveau été réservée cet été. Le taux d’inoccupation des commerces y est d’ailleurs passé de 14,5 % à moins de 10 % en deux ans, selon des données de la SDC.
« Ça m’apparaît être des signes encourageants. Cela dit, il y a toujours deux côtés à une médaille, et donc je pense qu’on va en savoir plus quand les subventions pour les loyers vont être terminées », précise le directeur général de la SDC de l’avenue du MontRoyal, Claude Rainville.
« S’il n’y avait pas eu la subvention au loyer, je serais fermé, carrément […] Ça me sauve la vie », lance d’ailleurs Bernard Tessier, qui possède une boutique de vêtements du même nom sur l’avenue du Mont-Royal. « Donc, moi, mon hiver, il me fait peur. »
Le centre-ville, « un cas à part »
Rue Sainte-Catherine Ouest, malgré une certaine reprise de l’achalandage des commerces par rapport à l’an dernier, le taux d’inoccupation de ceux-ci demeure à près de 12 %, au moment où les tours de bureaux continuent d’être pratiquement vides et qu’un imposant chantier de la Ville se poursuit sur une partie de l’artère.
« On n’est même pas proches de revenir au chiffre d’affaires prépandémie ou même prétravaux », tranche PaulAndré Goulet, qui possède notamment un magasin Sports Experts de trois étages sur l’artère.
« Le centre-ville est un cas à part. Même s’il y a des résidents, il n’y en a pas assez pour faire vivre les commerces locaux », constate ainsi le responsable du développement économique et commercial au comité exécutif, Luc Rabouin. L’élu compte notamment miser sur la création de plus de « places publiques du XXIe siècle » au centre-ville pour y attirer des clients, à moyen terme.
Plus à l’est, dans le Village, les derniers mois ont laissé des traces rue Sainte-Catherine. Des commerces ont dû fermer leurs portes, et la pandémie a exacerbé les problèmes d’itinérance. À coups d’événements et d’animations, la vie a quand même repris dans le quartier. « Cet été, tous les vendredis soir, on a eu des shows de dragqueens. C’était très chouette », souligne la directrice générale adjointe de la SDC du Village, Gabrielle Rondy.
« Les gens avaient hâte de se divertir un peu », constate Denis Brossard, copropriétaire du Cabaret Mado, qui a vu une remontée du nombre de clients — bien que limitée par les restrictions sanitaires. L’écoeurement des derniers mois, combiné à la progression de la vaccination, a redonné envie aux gens de sortir, estime-t-il.
Pénurie de main-d’oeuvre
Pas très loin, la copropriétaire du Bistro Tendresse Catherine St-Cyr a elle aussi profité de la saison estivale. Si bien que l’établissement s’est retiré des plateformes Uber ou SkipTheDishes pour concentrer ses efforts sur le service en salle à manger, en raison d’un manque de personnel.
« On ne peut pas penser qu’on peut fermer une industrie comme ça pendant longtemps et espérer que, quand on la rouvre, tout va revenir à la normale le lendemain », souligne la restauratrice.
« Il y a un gros manque de maind’oeuvre dans les cuisines », constate lui aussi Jason Tremblay, copropriétaire du restaurant Joséphine et du bar Clébard, rue Saint-Denis. L’entrepreneur a même dû passer derrière les fourneaux pour prêter main-forte à ses équipes. « Je ne suis même pas cuisinier de base, mais on n’a pas eu le choix. Je ne connais pas beaucoup de propriétaires de restaurants ou de bars qui n’ont pas fait, au moins une fois, de la cuisine ou de la plonge cet été », dit-il.
Sophie Bergeron, qui possède deux restaurants rue Wellington, à Verdun, peine elle aussi à recruter des employés, même si elle leur propose de bons salaires. Elle se voit ainsi contrainte de limiter les heures d’ouverture de ses deux commerces.
« Ma plus grande inquiétude pour les années à venir, c’est vraiment le manque de personnel dans les commerces de détail », indique également le propriétaire de l’Intermarché Boyer et d’une fromagerie sur l’avenue du Mont-Royal, Franck Hénot, qui peine à récolter des curriculum vitae même s’il propose 16 $ l’heure « pour servir des fromages ».