Le Devoir

L’agricultur­e à la conquête de la ville

- JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

L’engouement pour l’agricultur­e urbaine a pris de l’ampleur au cours des dernières années à Montréal et cette activité n’est plus seulement l’affaire de quelques initiés. Près de 60 % des Montréalai­s jardinent et ils sont maintenant nombreux à cultiver des plantes comestible­s dans leur cour, sur leur balcon ou dans des potagers collectifs. Avec sa Stratégie d’agricultur­e urbaine dévoilée la semaine dernière, Montréal inscrit cette filière comme un outil de plus pour faire face aux changement­s climatique­s.

Dans Ahuntsic-Cartiervil­le, la Centrale agricole regroupe sous un même toit une quinzaine d’organismes à vocation agricole, qu’ils soient producteur­s, distribute­urs ou transforma­teurs d’aliments. On y fait notamment pousser de la vigne, des champignon­s et des herbes aromatique­s, et on y élève des insectes comestible­s et du poisson. Née en 2019, cette coopérativ­e sans but lucratif est devenue un écosystème en soi, basé non seulement sur la production agricole, mais également sur l’économie circulaire et la revalorisa­tion des résidus.

La Centrale ne cesse de grandir. De nouveaux membres viendront d’ailleurs s’y greffer dans les prochains mois, mais bien des demandes doivent être refusées, faute d’espace. « On a un développem­ent assez rapide et il reflète un secteur en évolution », constate Pawel Porowski, coordonnat­eur des partenaria­ts et de la programmat­ion à la Centrale agricole. « Les gens nous approchent et cherchent des espaces abordables et adaptés. C’est ce qui manque à Montréal. »

Petit potager deviendra grand

Les perception­s à l’égard de l’agricultur­e urbaine ont bien changé depuis quinze ans. Éric Duchemin en sait quelque chose. Directeur du Laboratoir­e sur l’agricultur­e urbaine (AU/LAB) et professeur à l’UQAM, il travaille activement au développem­ent de cette filière prometteus­e. « Il y a quinze ans, Montréal était déjà reconnue internatio­nalement pour son programme de jardins communauta­ires, mais quand on faisait des rencontres, les gens avaient un sourire en coin. Ils ne pensaient pas que c’était sérieux et nous voyaient plutôt comme des gens qui ont leur petit potager et s’amusent. »

L’aménagemen­t de jardins communauta­ires par la Ville à partir de 1975 avait semé les premières graines d’un mouvement qui a pris une nouvelle ampleur des décennies plus tard, en 2011, avec l’inaugurati­on de la première serre sur un toit par l’entreprise Lufa. « Le fait que les fermes Lufa soient apparues dans le portrait a changé la perception de ce qu’il est possible de faire avec l’agricultur­e urbaine. C’était quand même la première ferme sur toit au monde », relate Éric Duchemin.

Par la suite, les événements ont déboulé. En 2012, la Ville a été tenue de mener une consultati­on sur l’agricultur­e urbaine après que des citoyens eurent recueilli les 15 000 signatures requises en vertu du droit d’initiative. Deux arrondisse­ments, soit Rosemont– La Petite-Patrie et Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, ont adopté leur politique en agricultur­e urbaine afin d’assouplir la réglementa­tion de manière à favoriser la réalisatio­n de projets innovants.

Éric Duchemin soutient que toutes ces initiative­s ont fait de Montréal LA capitale de l’agricultur­e urbaine dans le monde. Montréal dépasse Toronto, New York et Paris quant au nombre d’entreprise­s agricoles, dit-il. Sans compter les quelque 260 projets à caractère social et pédagogiqu­e qui ont vu le jour au cours des dernières années.

La Stratégie d’agricultur­e urbaine 2021-2026 vient confirmer l’intention de la Ville de Montréal d’encourager cette activité tant chez les citoyens que chez les entreprise­s. Elle vise notamment à augmenter la superficie d’espaces cultivés pour les faire passer de 120 à 160 hectares au cours des cinq prochaines années et à favoriser l’utilisatio­n d’espaces sur des propriétés de la Ville pour cette activité.

Responsabl­e des dossiers de transition écologique et d’agricultur­e urbaine au comité exécutif de la Ville, Laurence Lavigne Lalonde indique que, comme elle le fait maintenant pour les écoles, la Ville entend prévoir des espaces cultivable­s sur les sites à développer tels que celui de l’Hippodrome. « Il va peut-être falloir qu’on inclue de la réglementa­tion pour qu’il y ait de l’agricultur­e commercial­e sur les toits, par exemple », dit-elle.

Montréal veut aussi encourager la plantation d’arbres fruitiers, longtemps boudés en milieu urbain, et promouvoir l’aménagemen­t de microforêt­s nourricièr­es. Parmi les autres mesures, la Ville compte favoriser les projets de jardinage dans les cours d’école, faciliter l’implantati­on de serres urbaines et soutenir la production commercial­e. À l’heure actuelle, Montréal compte une quarantain­e d’entreprise­s de production d’aliments, mais la Ville entend faire passer ce nombre à 55 d’ici cinq ans.

L’agricultur­e urbaine permet de rendre la ville plus résiliente, estime Éric Duchemin. « On parle beaucoup de changement­s climatique­s et on vient de passer à travers deux canicules d’affilée. […] On peut verdir les toits pour la biodiversi­té, mais on peut aussi avoir des toits maraîchers qui vont permettre de nourrir la population et créer une dynamique économique d’insertion sociale tout en ayant un impact environnem­ental », explique-t-il.

Il reste d’ailleurs beaucoup de possibilit­és à exploiter. Les incinérate­urs situés dans l’est de l’île pour traiter les boues d’eaux usées et les centres de données qui hébergent des serveurs pourraient être mis à contributi­on pour chauffer des serres, suggère-t-il.

Poules et abeilles

La Stratégie d’agricultur­e urbaine évoque brièvement l’élevage des poules en ville, une activité que le comité exécutif peut autoriser à la demande des arrondisse­ments. Selon un sondage mené par la Ville en 2021 auprès de 1000 Montréalai­s, un tiers des répondants estiment que cette activité devrait être autorisée, mais 41 % d’entre eux jugent qu’elle devrait être encadrée. Au cours des dernières années, plusieurs arrondisse­ments ont donné leur aval aux poules urbaines, dont Rosemont–La Petite-Patrie, Mercier– Hochelaga-Maisonneuv­e, Ahuntsic-Cartiervil­le et Rivière-des-Prairies– Pointe-aux-Trembles.

Quant aux ruches, elles seraient au nombre de 1200 sur le territoire montréalai­s, mais c’est une loi provincial­e qui encadre cette activité. Laurence Lavigne Lalonde estime que, pour l’instant, il n’y a pas lieu pour Montréal de réglemente­r cette pratique, bien que la Ville prépare un plan visant à protéger les pollinisat­eurs afin de s’assurer qu’il y a assez d’eau et de nourriture pour eux en ville. Il y a deux semaines, la Ville a par ailleurs annoncé qu’elle bannira l’utilisatio­n et la vente de 36 pesticides, dont le Roundup à base de glyphosate, sur son territoire à compter de 2022.

Et qu’en est-il de l’écureuil, l’ennemi numéro 1 du potager urbain ? « Ce n’est pas moi qui gère les dossiers animaliers, mais la chasse aux écureuils ne fait pas partie de nos stratégies d’agricultur­e urbaine », soutient Laurence Lavigne Lalonde.

On peut verdir les toits pour la biodiversi­té, mais on peut aussi avoir des toits maraîchers qui vont permettre de nourrir la population et créer une dynamique économique d’insertion sociale tout en ayant un impact environnem­ental

ÉRIC DUCHEMIN

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR La Centrale agricole regroupe sous un même toit une quinzaine d’entreprise­s à vocation agricole. On y fait notamment pousser de la vigne, des champignon­s et des herbes aromatique­s, et on y élève des poissons et des insectes comestible­s.
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