Prendre les armes au sérieux, l’éditorial de Robert Dutrisac
Intervenant dans la campagne électorale, les maires de cinq grandes villes — Montréal, Québec, Laval, Longueuil et Gatineau — ont exigé du prochain gouvernement fédéral qu’il prenne ses responsabilités en bannissant les armes d’assaut, mais aussi les armes de poing. Les maires craignent que le Canada ne devienne une société à l’américaine, « où l’utilisation des armes à feu devient banale et les drames, quotidiens ». Les fusillades, essentiellement le fait d’armes de poing, sont en hausse dans les grandes villes du Québec, principalement à Montréal, une situation qui est pire encore dans les villes de Toronto ou Vancouver. L’importation illégale d’armes des États-Unis est en recrudescence ces dernières années, un phénomène que les autorités fédérales à la frontière n’ont pas réussi à endiguer. Au Québec, les services de police des grandes villes ne parviennent pas à maîtriser la situation. La mairesse Valérie Plante a signalé qu’à chaque fois qu’un policier montréalais confisque une arme, « il y en a dix qui rentrent ». Le maire Régis Labeaume estime, quant à lui, que les policiers « vont perdre cette guerre-là ».
Jusqu’ici, le gouvernement Trudeau s’est montré ferme en paroles et mollasson en actes. Au printemps 2020, il faisait adopter le projet de loi C-71. A suivi un décret bannissant — en principe — les armes d’assaut. Plus de 1500 modèles de ces armes semi-automatiques de type militaire furent inscrits sur la liste des armes prohibées. Or, c’était un leurre puisque leurs propriétaires pouvaient conserver leur précieux objet pendant deux ans, le temps de mettre en place, avançait-on, un programme de rachat de toutes ces armes. Puis, en février dernier, on apprenait que le gouvernement Trudeau, pusillanime, projetait de se faire encore plus accommodant grâce au projet de loi C-21, qui autorise les propriétaires, une fois munis d’un permis de possession, à garder leur joujou contre la promesse de ne pas s’en servir. Au Canada, on estime qu’il y a entre 155 000 et 200 000 armes d’assaut en circulation.
On peut comprendre que ces compromissions ont souverainement déplu aux groupes qui militent pour un contrôle strict des armes à feu. Dans une lettre envoyée en mars à Justin Trudeau, des survivantes et des proches de femmes tuées lors du drame de Polytechnique ont indiqué que le chef libéral, qu’ils taxent d’hypocrite, ne serait plus le bienvenu lors de la commémoration de la tuerie survenue en décembre 1989 si le projet de loi C-21 n’était pas substantiellement modifié. « Bien que vous et votre gouvernement puissiez sans doute duper une importante partie de la population avec du verbiage politique et des slogans accrocheurs, vous ne pouvez pas duper les familles et les survivants qui se battent depuis plus de 30 ans pour le contrôle des armes », affirment sans ambages les signataires de cette lettre. Avec le déclenchement des élections, le projet de loi est mort au feuilleton, mais une fois l’élection passée, le problème restera entier.
Les électeurs ne peuvent se tourner vers les conservateurs d’Erin O’Toole, qui a senti le besoin de changer le programme de son parti en pleine campagne. Contrairement à ce qui est écrit dans la plateforme, un gouvernement conservateur n’abolirait plus le projet de loi C-71. Tout au plus irait-on jouer dans la liste des armes prohibées. Si c’est le cas, ce n’est certes pas pour ajouter à cette liste. Saugrenue, la volte-face d’Erin O’Toole n’est absolument pas crédible.
Au-delà des armes d’assaut, le véritable problème qui confronte les municipalités, c’est la prolifération des armes de poing sur leur territoire. Le gouvernement Trudeau s’est engagé à renforcer les contrôles douaniers, mais l’effet de cette mesure ne s’est pas fait sentir, s’il faut en croire les maires.
Ottawa mise sur le délestage de ses responsabilités. Justin Trudeau a promis un milliard aux provinces qui se chargeraient de régler le problème pour le gouvernement fédéral. Il a incité chacune des villes à interdire les armes de poing sur leur territoire. Or, comme l’ont rappelé les maires, il est illusoire de penser qu’une ville peut imposer une telle interdiction alors que la municipalité d’à côté s’en passe, tout comme une province seule ne peut freiner le trafic d’armes interprovincial. C’est à l’importation illégale d’armes qu’il faut s’en prendre, une responsabilité fédérale, et c’est aussi à Ottawa de renforcer le Code criminel s’il y a lieu, et donner aux policiers, dont ses propres gendarmes royaux, des moyens légaux d’intervenir.
La plateforme électorale des libéraux est truffée d’engagements qui empiètent sur les compétences des provinces. S’il remporte la victoire aux prochaines élections, Justin Trudeau, qui promet de faire ce qu’il n’a pas eu le courage de faire jusqu’ici pour le contrôle des armes à feu, devrait faire en sorte que son gouvernement s’occupe avec efficacité de ses propres responsabilités.