Le Devoir

Pourquoi ignorent-ils l’ONU ?

- III POINT DE VUE ÉLECTORAL Jocelyn Coulon

L’auteur est chercheur au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il vient de publier un ouvrage intitulé Le Canada à la recherche d’une identité internatio­nale.

Les programmes de politique étrangère et de défense des deux grands partis de gouverneme­nt sont étonnants de similitude sur l’ONU : ils se rejoignent sur la disparitio­n presque complète de toute référence aux Nations unies comme un des piliers de la sécurité et de l’action internatio­nale du Canada. Jamais sans doute dans l’histoire diplomatiq­ue du pays depuis 1945 cet abandon n’aura été aussi clairement affiché.

Les conservate­urs, ceux à la sauce Stephen Harper, ont toujours détesté les Nations unies. L’ancien premier ministre prenait un malin plaisir à la dénoncer comme une assemblée de dictatures. Il préférait les relations bilatérale­s au multilatér­alisme, un exercice qui demande des qualités de diplomate dont son gouverneme­nt manquait cruellemen­t.

Le programme électoral d’Erin O’Toole sur l’ONU va dans le même sens, même s’il ne craint pas la contradict­ion. Reprenant la rhétorique de Harper, un futur gouverneme­nt conservate­ur ne cédera pas « devant les priorités des dictateurs et des despotes » aux Nations unies, peut-on lire. Pourtant, comme on peut le lire dans la plateforme du parti, cela ne l’empêchera pas de nouer d’excellente­s relations avec des dictatures en Asie et en Afrique.

Les conservate­urs promettent plutôt de « traiter en priorité les intérêts et les valeurs du Canada » aux Nations unies, ce qui n’est pas tout à fait le sens exact de la participat­ion d’un État à une organisati­on internatio­nale. Le multilatér­alisme est le lieu de la concertati­on et du compromis.

Enfin, nulle part dans le programme n’est-il fait mention d’une éventuelle participat­ion aux opérations de paix, qui sont, faut-il le rappeler, la fonction principale de l’ONU sur les questions de paix et de sécurité.

Le Canada compte actuelleme­nt une trentaine de Casques bleus dans le monde contre 2500 pour la Chine. Ainsi, Pékin assume ses responsabi­lités internatio­nales, là où d’autres comme le Canada y renoncent, ce qui n’empêche pas les conservate­urs d’accuser la Chine de chercher à étendre ses tentacules dans toutes les organisati­ons internatio­nales.

Les libéraux, eux, effectuent un virage à 180 degrés. L’ONU et les opérations de paix ne sont mentionnée­s qu’une seule fois dans leur programme au détour d’une courte phrase sur l’aide à apporter en cas d’urgences sanitaires et climatique­s, et dans le cadre d’interventi­ons lors de conflits.

Dorénavant, la sécurité du Canada reposera exclusivem­ent sur le renforceme­nt des liens militaires avec l’OTAN et les États-Unis. Le contraste est saisissant par rapport aux positions traditionn­elles du Parti libéral depuis la création des Nations unies.

Les énoncés de politique étrangère de Jean Chrétien en 1995 et de Paul Martin en 2005 plaçaient l’ONU sur la liste des priorités de la diplomatie canadienne. Le programme électoral de Justin Trudeau en 2015 faisait de même.

Ainsi, sur la dizaine de pages consacrées à la défense et à la diplomatie, une portait sur la participat­ion aux opérations de paix et les relations avec l’ONU. Deux ans plus tard, Chrystia Freeland prononçait un discours où les références aux Nations unies et au maintien de la paix étaient nombreuses.

Aujourd’hui, ce discours a pris le chemin des oubliettes. Depuis son arrivée au pouvoir il y a six ans, le Parti libéral s’est, par petites touches successive­s, rapproché des positions conservatr­ices. Avec cette nouvelle plateforme électorale, il complète sa mue en passant d’une formation politique sincèremen­t attachée à l’internatio­nalisme vers celle d’un « cheerleade­r » d’une plus grande intégratio­n à l’OTAN et à l’alliance militaire avec les États-Unis. Il rejoint ainsi le Parti conservate­ur dans sa volonté d’ériger une forteresse nord-américaine au détriment d’une politique étrangère et de défense plus ouverte sur le monde.

Cette orientatio­n est mauvaise pour deux raisons. L’approfondi­ssement des liens avec les États-Unis nous entraîne d’abord dans une relation de dépendance excessive qui ne plaît pas aux Canadiens. C’est ce qui ressort d’une large consultati­on sur la politique étrangère menée récemment par le Conseil internatio­nal du Canada (CIC) […].

La deuxième raison est le corollaire de la première. La relation avec l’ONU est un symbole fort pour les Canadiens, une façon de se distinguer des États-Unis, d’échapper en partie à son emprise. Elle a longtemps permis au Canada de se façonner une identité forte sur la scène internatio­nale […].

L’ONU a mille défauts, mais elle demeure centrale pour les affaires du monde. Elle est productric­e de normes et de règles destinées à réguler les relations internatio­nales au point où même les États-Unis de Donald Trump s’y référaient, et plus souvent qu’on le pense. Et elle n’a jamais été aussi indispensa­ble qu’en ce moment.

Tribune de toutes les nations, elle offre aux petites comme aux moyennes de faire entendre leur voix, des voix de plus en plus couvertes par le bruit que font les grandes puissances. Ne serait-ce que pour cette raison, le prochain gouverneme­nt devrait s’en faire le champion. On verra lors des débats des 8 et 9 septembre si c’est l’intention de nos leaders politiques.

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