Le prix d’une vie après les attentats du 11 Septembre
À combien estimez-vous le coût d’une vie humaine ? Voilà la question qui régit le drame À quel prix ?, fiction centrée sur le fonds de compensation des victimes du 11 Septembre
À combien estimez-vous le coût d’une vie humaine ? Voilà la question qui régit le drame À quel prix ?, fiction centrée sur le fonds de compensation des victimes du 11 Septembre. Une question qui n’a eu rien de fictif puisque ce drame se base sur le livre écrit par Kenneth Feinberg, l’avocat responsable du fonds, What Is Life Worth ?
À la suite des attentats du 11 Septembre 2001, pour éviter des procès qui couleraient l’économie et ruineraient les compagnies aériennes, le gouvernement américain décide de la création d’un fonds de compensation qui dédommagerait les victimes et les
Des mondes s’opposent dans ce film, comme une succession de duels. Des David contre Goliath successifs.
familles si celles-ci n’intentent pas de poursuites. Avocat d’expérience pour ce qui est de mettre une étiquette de prix sur la vie, Kenneth Feinberg se porte volontaire pour être entre le marteau et l’enclume. Il devra établir un fonctionnement juste et équitable pour ce fonds et convaincre les familles d’y souscrire.
Des mondes s’opposent dans ce film, comme une succession de duels. Des David contre Goliath successifs. Celui des chiffres contre l’humain, celui de la rationalité contre la douleur, celui des décisionnaires contre les victimes, celui des riches contre les pauvres, celui de Feinberg contre la foule meurtrie… La réalisatrice Sara Colangelo (Little Accidents) montre un objectif clair : il faut remettre l’humain au centre de ce processus. Ouvrir son film sur le son ambiant d’un avion en vol, accompagné de témoignages qui se multiplient rendant le tout de plus en plus chaotique, jusqu’à ce qu’apparaisse à l’image le témoignage de la mère d’une victime, face à la caméra, seule dans le cadre, musique mélancolique en fond, tout ça n’a rien d’une manoeuvre pour tendre vers le pathos. Non. La réalisatrice évite d’ailleurs subtilement cet écueil. C’est là un rappel à l’ordre sensible et respectueux de la réalité des victimes au lendemain des attentats.
Coupe sèche, noire, la voix de Michael Keaton dans le rôle de Feinberg résonne : « Quel est le prix d’une vie ? » L’atmosphère de recueillement qui avait été savamment bâtie est immédiatement broyée par les considérations matérielles sur lesquelles l’avocat donne un cours. Avec une certaine désinvolture — ou plutôt une désinvolture certaine — et un panache comme on en rêve chez tous les professeurs, Michael Keaton réussit à nous faire rire de ce qu’on prenait de facto comme amoral. L’interprète de Birdman nous rend sympathique ce personnage pour qui la rationalité est reine et qui passerait trop facilement pour froid et insensible.
La froideur est plutôt un cadre. Du marbre des grands halls aux bureaux impersonnels, les décors dans lesquels Colangelo met en scène ses personnages, filmés avec une symétrie millimétrée, mettent mal à l’aise et nous rappellent sans cesse que cette froideur est la règle dans ce genre de cas, alors que chacune des 2977 victimes est une exception qui demande un engagement affectif. C’est ici que l’excellent Stanley Tucci entre en scène. Dans son rôle de veuf et de meneur des victimes, il se place en alter ego de Michael Keaton (tous deux sont liés par la même passion pour l’opéra). Boussole morale, il fait office de pont entre la raison et les sentiments.
Poignant et juste, À quel prix ? fait une critique aussi cinglante qu’émouvante de la justice américaine, pas si juste, et qui laisse sur le carreau ceux qui ne rentrent pas dans son moule étriqué.
À quel prix ? (V.F. de Worth)
Drame de Sara Colangelo, d’après le livre What Is Life Worth de Kenneth Feinberg. Avec Michael Keaton, Stanley Tucci, Amy Ryan et Tate Donovan. États-Unis, 2020, 1 h 58. Sur Netflix