Le Devoir

Des nomination­s sur fond de manifestat­ions

Les talibans ont dévoilé une partie de leur gouverneme­nt voué à « faire respecter la charia »

- JAMES EDGAR ET EMMANUEL DUPARCQ À KABOUL AGENCE FRANCE-PRESSE

Les talibans ont nommé mardi les principaux ministres de leur gouverneme­nt, dirigé par Mohammad Hassan Akhund, un ancien proche de leur fondateur, le mollah Omar, alors que les manifestat­ions contre leur régime ont pour la première fois pris une tournure mortelle.

À Hérat (ouest), deux personnes ont été tuées et huit blessées par balle lors d’un rassemblem­ent antitaliba­n, selon un médecin local. Ce sont les premiers morts recensés lors des marches contre le nouveau régime de ces derniers jours dans plusieurs grandes villes du pays.

« Ces manifestat­ions sont illégales tant que les bureaux du gouverneme­nt n’ont pas ouvert et que les lois ne sont pas proclamées », a averti Zabihullah Mujahid, le principal porte-parole des talibans, en demandant aux médias de « ne pas couvrir » ces protestati­ons.

Dans le gouverneme­nt annoncé mardi soir par M. Mujahid, les islamistes, qui s’étaient engagés à former un gouverneme­nt ouvert à d’autres groupes, monopolise­nt les principaux portefeuil­les et n’ont pas nommé de femme.

Abdul Ghani Baradar, le cofondateu­r de leur mouvement, devient numéro deux du régime. Le mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, sera ministre de la Défense. Sirajuddin Haqqani — leader du réseau éponyme, historique­ment proche d’al-Qaïda — obtient le portefeuil­le de l’Intérieur.

« Nombre de ces “nouveaux leaders” étaient déjà importants chez les talibans d’avant le 11 Septembre et figurent sur les listes de sanctions de l’ONU », a tweeté Bill Roggio, rédacteur en chef du Long War Journal, un site américain consacré à la guerre contre le terrorisme.

Leur premier ministre, Mohammad Hassan Akhund, est selon lui connu pour avoir approuvé la destructio­n des bouddhas géants de Bamiyan (centre), célèbres statues du VIe siècle sculptées dans des falaises que les islamistes ont dynamitées en 2001.

« Le cabinet n’est pas complet », a précisé Zabihullah Mujahid lors d’une conférence de presse. « Nous essayerons de prendre des gens venant d’autres régions du pays », a-t-il ajouté, sans évoquer la possibilit­é de nommer une femme.

Le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, dans une très rare interventi­on publique, a invité le nouveau gouverneme­nt à « faire respecter la charia » dans le pays.

Le gouverneme­nt fera en sorte d’installer « une paix, une prospérité et un développem­ent durables » dans le pays, a-t-il ajouté en demandant à ses compatriot­es de ne pas le quitter. Le régime taliban « n’a de problème avec personne », a-t-il souligné, alors que plus de 120 000 Afghans se sont exilés ces dernières semaines par crainte des talibans.

Pakistan

Ces nomination­s sont intervenue­s après que des coups de feu en l’air ont été tirés mardi à Kaboul pour disperser une manifestat­ion dénonçant notamment la violente répression des talibans dans le Panchir, où un mouvement de résistance s’est dressé contre eux.

Près d’une centaine de manifestan­ts se sont rassemblés devant l’ambassade du Pakistan, dont ils dénoncent l’ingérence dans le pays à travers les talibans dont Islamabad est très proche. « Nous ne voulons pas d’un gouverneme­nt soutenu par le Pakistan », ont-ils scandé, ainsi que « Pakistan, dégage d’Afghanista­n ».

Zabihullah Mujahid a nié tout lien des islamistes avec le Pakistan, pourtant dénoncé de longue date par la communauté internatio­nale et l’ancien gouverneme­nt afghan.

« Dire que le Pakistan aide les talibans, c’est de la propagande », a-t-il affirmé. « Nous ne permettons à aucun pays d’interférer » dans les affaires afghanes, a-t-il poursuivi.

Le chef des puissants services de renseignem­ent militaires pakistanai­s, Faiz Hameed, était ce week-end à Kaboul, où il s’est très probableme­nt entretenu avec des responsabl­es talibans.

D’après l’Associatio­n afghane des journalist­es indépendan­ts, 14 journalist­es, afghans et étrangers, ont brièvement été détenus durant cette manifestat­ion puis relâchés par les talibans.

Parmi les manifestan­ts figuraient une majorité de femmes, qui craignent de voir les talibans les exclure de la vie publique comme lors de leur précédent régime, entre 1996 et 2001.

« Les femmes afghanes veulent que leur pays soit libre, qu’il soit reconstrui­t. Nous (les Afghans) sommes fatigués », a déclaré à l’Agence FrancePres­se une manifestan­te, Sarah Fahim, originaire de Kapisa, une province du nord-est de Kaboul ancienneme­nt sous contrôle de l’armée française et voisine de celle du Panchir.

 ?? HOSHANG HASHIMI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Près d’une centaine de manifestan­ts se sont rassemblés devant l’ambassade du Pakistan pour dénoncer l’ingérence de ce pays en Afghanista­n à travers les talibans, dont Islamabad est très proche.
HOSHANG HASHIMI AGENCE FRANCE-PRESSE Près d’une centaine de manifestan­ts se sont rassemblés devant l’ambassade du Pakistan pour dénoncer l’ingérence de ce pays en Afghanista­n à travers les talibans, dont Islamabad est très proche.

Newspapers in French

Newspapers from Canada