Le Devoir

Les sécheresse­s font grimper le cours de l’eau

Les principaux réservoirs du Golden State n’atteignent pas 50 % de leur capacité

- ULYSSE BERGERON

Neuf mois après les premières transactio­ns sur l’eau à la Bourse de Chicago et sur le NASDAQ, le prix de l’or bleu s’envole. La valeur des contrats à terme de la précieuse ressource — qui se concentre jusqu’à présent sur le marché californie­n — a doublé à cause de la rareté qui découle des feux de forêt et des sécheresse­s qui ravagent la côte ouest américaine, mais également en raison de l’appétit des investisse­urs.

« C’est clair que l’impact de la sécheresse dans le sud-ouest des États-Unis en est la cause », dit Frédéric Lasserre, expert en géopolitiq­ue de l’eau et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiq­ues de l’Université Laval. « On a de nouveau un épisode de grande rareté dans les précipitat­ions [en Californie], comme en 2014 et en 2015. Du coup, il y a beaucoup moins d’eau », note-t-il.

Les principaux réservoirs du Golden State n’atteignent pas 50 % de leur capacité. Résultat : en Bourse, le prix de l’eau grimpe au rythme où la ressource s’évapore.

Depuis la déclaratio­n de l’état d’urgence en Californie à cause des feux de forêt et des sécheresse­s, en avril, la valeur de l’indice Veles California Water n’a cessé d’augmenter. Il gravite autour de 925 dollars américains l’acrepied, près du double de ce que la ressource valait lors des premières transactio­ns boursières il y a neuf mois.

Rappelons qu’en décembre, le Chicago Market Exchange (CME) Group lançait les premiers contrats à terme sur l’eau aux États-Unis. Cet instrument financier a pour but de fixer à l’avance le prix des livraisons de la précieuse ressource en Californie en fonction de l’offre et de la demande.

Évidemment, dans un contexte de rareté, « tous les utilisateu­rs qui se sentent désespérés sont prêts à mettre de l’argent pour acquérir des droits pour avoir des volumes supplément­aires », dit Frédéric Lasserre. Parmi eux : les agriculteu­rs, qui sont les plus grands consommate­urs d’eau de la Californie, mais également les villes et les industriel­s.

Et à eux s’ajoutent certaineme­nt des spéculateu­rs depuis que les transactio­ns sont faites sur un marché boursier. « Je pense que non seulement il y a des utilisateu­rs qui ont vraiment besoin de la ressource qui essaient d’acquérir des droits d’utilisatio­n sur des volumes, mais il y a aussi sans doute des investisse­urs qui disent qu’il est possible de faire de l’argent en spéculant à court terme », note M. Lasserre.

Manque de transparen­ce

Or, il est impossible d’établir la part qu’occupe la spéculatio­n dans la hausse des derniers mois. Contrairem­ent aux contrats à terme d’autres denrées alimentair­es — céréales, porcs, bovins, etc. —, l’indice Veles ne s’appuie pas sur des données gouverneme­ntales. Le calcul de la valeur de l’eau est plutôt fait à partir de données confidenti­elles collectées par le CME Group, une entreprise privée.

Dans une analyse publiée sur le site The Conversati­on en avril, deux universita­ires spécialist­es de la question — Ellen Bruno, chercheuse à l’Université de la Californie, et Heidi Schweizer, professeur­e à l’Université de la Caroline du Nord — évoquaient cette particular­ité. « Le manque de transparen­ce quant à l’élaboratio­n de l’indice et aux données sous-jacentes limitera la confiance que les acteurs du marché peuvent avoir dans l’intégrité de ses valeurs », écrivaient-elles.

Pour réduire la spéculatio­n, il serait possible d’encadrer davantage les échanges, indique Frédéric Lasserre. « On pourrait très bien dire que tout acheteur des droits d’utilisatio­n de la ressource en eau ne peut pas les revendre avant un certain délai pour lui envoyer le message que s’il en achète, c’est qu’il en a besoin. Si vous vendez le droit au bout de deux jours, c’est que vous n’aviez pas l’intention de vous servir de la ressource. »

Effets à venir au Canada

Les Canadiens pourraient bien en ressentir les contrecoup­s, tout particuliè­rement en ce qui concerne le prix des aliments. Des 15,92 milliards de dollars américains en produits californie­ns qui prennent la route du Canada, près de 16 % (2,5 milliards de dollars) proviennen­t de l’agricultur­e.

« C’est sûr que ça touche et que ça va toucher notre indice des prix à la consommati­on, surtout à cause de l’importance de la Californie dans l’approvisio­nnement en fruits et légumes : les choux-fleurs, les artichauts, les brocolis, les cantaloups, les tomates… et bien d’autres », explique Nicolas Mesly, agroéconom­iste et journalist­e spécialisé en agroalimen­taire.

Mais au-delà de cet effet à court terme, il y en a un à long terme : l’enjeu de l’eau va bouleverse­r l’échiquier mondial de la production d’aliments, estime M. Mesly, « et la Californie est un exemple de reconfigur­ation du commerce mondial des denrées » qui en découle. Les agriculteu­rs pourraient être poussés à déménager les cultures les plus gourmandes en eau, par exemple. « Dans une certaine mesure, c’est déjà le cas avec des producteur­s de tomates qui vont s’installer au Mexique », dit-il.

Tous les utilisateu­rs qui se sentent désespérés sont prêts à mettre de l’argent pour acquérir »

des droits pour avoir des volumes supplément­aires FRÉDÉRIC LASSERRE

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JOSH EDELSON AGENCE FRANCE-PRESSE En Californie, le lac Oroville était à 23 % de sa capacité dimanche. La valeur des contrats à terme sur l’eau a doublé à cause de la rareté qui découle des feux de forêt et des sécheresse­s qui ravagent la côte ouest américaine.

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