Le Devoir

FRANÇOIS LEGAULT INVITE LES QUÉBÉCOIS À SE « MÉFIER » DE JUSTIN TRUDEAU

L’interventi­on du premier ministre provincial dans la campagne fédérale, jeudi, risque surtout de nuire au Bloc, avance une spécialist­e

- ISABELLE PORTER, MARIE-MICHÈLE SIOUI RESPECTIVE­MENT À QUÉBEC ET À ORFORD

François Legault invite les « nationalis­tes québécois » à se « méfier » du Parti libéral du Canada (PLC) et demande au chef conservate­ur, Erin O’Toole, de garantir aux Québécois les 6 milliards de dollars prévus dans l’entente sur les garderies avec Ottawa.

« Je trouve ça très inquiétant de voir trois partis — le PLC, le Nouveau Parti démocratiq­ue et le Parti vert — qui, non seulement ne sont pas ouverts à donner plus d’autonomie au Québec, mais veulent centralise­r et s’approprier des pouvoirs qui sont clairement des compétence­s des provinces », a déclaré le premier ministre à l’entrée du caucus de la Coalition avenir Québec jeudi matin. « Trois partis veulent nous donner moins d’autonomie, je trouve ça dangereux », a-t-il lancé.

Tout en se défendant d’appuyer le Bloc québécois et le Parti conservate­ur, le premier ministre a soutenu que « l’approche » de M. O’Toole était « bonne pour la nation québécoise ». Il a toutefois invité le chef conservate­ur à « s’expliquer » sur sa volonté d’abolir l’entente de 6 milliards de dollars sur les garderies dévoilée avant la campagne électorale par les libéraux de Justin Trudeau.

Une nuisance pour le Bloc

Il est pour le moins inusité qu’un premier ministre se prononce de façon aussi directe dans une campagne fédérale, remarquait jeudi l’experte en communicat­ion politique Mireille Lalancette, de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Le seul exemple récent qui lui venait à l’esprit était celui de la première ministre ontarienne Kathleen Wynne, qui avait soutenu sans ambages Justin Trudeau en 2015.

S’il est hasardeux par ailleurs de mesurer l’impact de tels propos sur le vote, une chose est certaine, selon la chercheuse : c’est au Bloc québécois qu’ils nuisent le plus. « Les gens qui n’aiment pas Trudeau auraient pu voter Bloc, et là, on les encourage à voter conservate­ur. Ça va faire perdre des acquis au Bloc, c’est certain. »

« Il y a beaucoup de gens indécis qui ont apprécié la gestion de la pandémie de François Legault », poursuit Mme Lalancette. « Ils pourraient se dire “si Legault le dit…” et aller de l’avant avec cette approche-là. »

Invité à réagir jeudi, alors qu’il se préparait au débat en anglais, le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a souligné n’avoir pas encore entendu les propos de M. Legault, mais s’est quand même permis de commenter.

« Le principe d’un gouverneme­nt minoritair­e, que les Canadiens choisiront bien comme ils voudront, me convient très bien. Le fait est que l’intérêt du Québec est assurément d’avoir la balance du pouvoir, comme on l’appelle traditionn­ellement. » Et d’ajouter que d’« être hostile à l’idée d’une forte délégation du Bloc, c’est comme dire aux Québécois “on veut vous en passer une vite”. »

Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, les candidats du Parti conservate­ur relayaient les uns après les autres la sortie de M. Legault. Le compte Twitter du chef, Erin O’Toole, citait notamment l’extrait où le premier ministre québécois qualifiait « l’approche conservatr­ice » de « bonne » pour la province.

Quant aux libéraux, ils risquent de ne pas oublier cette déclaratio­n de sitôt, observe Josianne Hébert, de la firme de relations publiques HK Stratégies. « Si [Justin Trudeau] est réélu le 20 septembre prochain, cette déclaratio­n de M. Legault aura assurément un impact sur leurs relations. » Chose certaine, « en raison de son niveau de popularité, ce que François Legault dit résonne », fait-elle valoir.

« Paternalis­te »

Alors que le caucus de présession de la CAQ se poursuivai­t à Québec, plusieurs élus du parti croisés à l’entrée de la salle ont refusé de se prononcer sur leurs intentions de vote lors des élections fédérales. « Je ne répondrai pas à ça ! » a rétorqué en riant le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Mais l’opposition libérale, elle, n’a pas manqué de réagir. « En souhaitant l’élection d’un gouverneme­nt conservate­ur, François Legault accepte de déchirer l’entente de 6 milliards et abandonne les parents, les enfants et tout le réseau des services de garde du Québec », a immédiatem­ent répliqué la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade. Elle a plus tard reproché au premier ministre d’adopter « une approche qui est assez paternalis­te ». « On n’a pas à dire aux Québécois comment voter », a-t-elle mentionné. À son avis, le chef caquiste « déclare forfait » en donnant son appui aux conservate­urs. « Moi, ce que je veux voir, c’est qu’on se bat pour que ces 6 milliards-là aillent aux familles québécoise­s, comme c’est prévu », a-telle dit.

Devant les journalist­es, M. Legault a également rappelé qu’il voulait récupérer des pouvoirs en immigratio­n en matière de regroupeme­nts familiaux pour que le français soit pris en compte dans le choix des candidats. « M. Trudeau, M. Singh ne sont pas ouverts à transférer ces pouvoirs-là. »

Il reproche en outre à Justin Trudeau d’avoir déjà affirmé qu’il n’excluait pas une participat­ion du fédéral aux actions judiciaire­s contre la Loi sur la laïcité de l’État. « Il y a un grand consensus dans la nation québécoise : on veut interdire les signes religieux pour les personnes en autorité. M. Trudeau ne respecte pas ça, et moi, je trouve ça inquiétant. »

Le premier ministre s’est de plus montré insatisfai­t des engagement­s des libéraux en matière de transferts en santé.

Si M. O’Toole parle d’une hausse « insuffisan­te » des transferts de 6 %, M. Trudeau « ne propose pas d’augmentati­on », a-t-il souligné. « Il propose des programmes ciblés. Il s’ingère dans les compétence­s des provinces, puis ça, bien, ça me fait peur. Parce que M. Trudeau a une approche où il veut se mêler de santé, il ne veut pas nous donner de pouvoirs en immigratio­n, il n’exclut pas de s’opposer à la loi 21. Ça, c’est très inquiétant pour tous les nationalis­tes. »

Le premier ministre Legault a également mentionné que, contrairem­ent aux autres candidats au poste de premier ministre fédéral, M. O’Toole est « d’accord » pour financer 40 % du troisième lien. « C’est un montant important. M. Trudeau et M. Singh ne sont pas d’accord avec ça. »

Dans son cadre financier, le Parti conservate­ur du Canada énonce son intention de retirer 26,7 milliards des 29,8 prévus pour le système pancanadie­n de garderies du PLC. Le parti d’Erin O’Toole propose plutôt d’ajouter 900 millions en crédits d’impôt pour la garde d’enfants en 2021-2022 ; ce montant diminuerai­t ensuite d’année en année, jusqu’à atteindre 120 millions en 2025-2026.

Trois partis veulent nous »

donner moins d’autonomie, je trouve ça dangereux FRANÇOIS LEGAULT

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