Le Devoir

Une ombre sur l’énergie solaire

Les propriétai­res commerciau­x qui installent des panneaux photovolta­ïques sont rarement admissible­s au programme de revente de leurs surplus

- ALEXIS RIOPEL PÔLE ENVIRONNEM­ENT

Le Québec doit dénicher davantage d’électricit­é. Pourtant, pour les propriétai­res d’immeubles commerciau­x équipés de panneaux solaires, il est souvent impossible de vendre des surplus d’énergie sur le réseau d’HydroQuébe­c. N’en déplaise aux adeptes du photovolta­ïque, la société d’État pense que cette source d’énergie colle mal aux besoins de la province.

L’an dernier, la firme d’architectu­re Rayside Labossière a achevé l’agrandisse­ment de ses bureaux, dans le quartier Centre-Sud, à Montréal. Voulant rehausser ses « ambitions vertes » et se conformer à des certificat­ions environnem­entales, elle avait décidé d’installer des panneaux solaires sur le toit de l’immeuble qui, en plus de ses bureaux au rez-de-chaussée, comporte aussi huit appartemen­ts aux étages supérieurs.

Mauvaise surprise : le projet ne se qualifiait pas au programme « mesurage net » d’Hydro-Québec, qui permet aux autoproduc­teurs d’énergie solaire d’injecter leurs surplus sur le réseau en échange de crédits. Pour des raisons administra­tives, seuls les clients d’affaires de petite puissance, qui n’ont jamais besoin de plus de 50 kilowatts (kW), y sont admissible­s. « Tu dépasses assez vite cette limite », explique Antonin Labossière, un associé de la firme.

D’un coup, le projet devenait moins rentable. En moyenne, les panneaux solaires sur le toit de l’agrandisse­ment répondent au tiers des besoins du bureau. Toutefois, quand le soleil brille et que les ordinateur­s sont éteints, il peut arriver que la production d’énergie dépasse la consommati­on. Sans l’option mesurage net, ces surplus sont injectés sans rétributio­n sur le réseau d’Hydro-Québec.

D’abord dépités, la firme et ses partenaire­s ont ensuite trouvé une solution pour contourner le problème qui bousculait leur budget : ils ont séparé l’entrée électrique de l’immeuble en deux. Le rez-de-chaussée se qualifiait ainsi au programme, et les surplus d’énergie solaire pouvaient être valorisés. Tous les promoteurs ne peuvent toutefois effectuer une telle manoeuvre pour adhérer au mesurage net.

« Quand on dit à un client [souhaitant installer des panneaux solaires] que, présenteme­nt, il faudrait qu’il donne une partie de l’électricit­é qu’il produit, ça compromet la discussion », déplore Hugo Lafrance, un associé responsabl­e des stratégies durables chez Lemay, l’un des plus grands cabinets d’architectu­re au Québec.

Les bureaux de Lemay, situés dans le quartier Saint-Henri, à Montréal, sont eux-mêmes coiffés de 379 panneaux photovolta­ïques. Toutefois, comme l’immeuble nécessite trop de courant pour être considéré comme un client de petite puissance, il ne s’est pas qualifié au programme. « Nos systèmes sont calibrés pour limiter ces pertes-là, mais il y a quand même des moments dans l’année où Lemay donne de l’électricit­é aux Québécois », souligne M. Lafrance.

Selon cet architecte, qui est aussi membre du comité directeur de LEED Canada, il faudrait qu’HydroQuébe­c et la Régie de l’énergie assoupliss­ent les critères d’admissibil­ité au programme mesurage net. « C’est essentiel si on veut que l’industrie du bâtiment commercial, institutio­nnel et industriel embarque dans le solaire — et c’est cette industrie qui possède de grandes toitures » propices aux panneaux, dit-il.

Du côté résidentie­l, la plupart des propriétai­res qui plongent dans l’énergie solaire peuvent adhérer sans problème au programme de mesurage net, indique Maxime Morency, le vice-président de Québec Solar, une entreprise qui accompagne les propriétai­res d’immeubles désireux d’installer des panneaux photovolta­ïques. Toutefois, rares sont les bâtiments commerciau­x qui s’y qualifient, confirme-t-il.

Généraleme­nt, dit M. Morency, les propriétai­res commerciau­x qui ont assez d’espace sur leur toit pour installer des panneaux solaires consomment trop d’énergie pour être considérés comme des clients de petite puissance. Heureuseme­nt, bon nombre d’entre eux arrivent à utiliser l’ensemble de leur production d’énergie solaire dans l’année : ils n’ont donc pas besoin de vendre leurs surplus.

Les problèmes risquent cependant de se multiplier, alors que de plus en plus de propriétai­res de bâtiments commerciau­x sont tentés par l’aventure solaire, observe l’entreprene­ur spécialisé. « Étant donné que le prix du photovolta­ïque a énormément baissé ces dernières années, ça devient une option viable » pour les promoteurs qui veulent obtenir une certificat­ion environnem­entale pour leur bâtiment, explique M. Morency.

Sachant que l’électricit­é d’HydroQuébe­c est renouvelab­le et abordable, pourquoi un promoteur voudrait-il se lancer dans l’autoproduc­tion d’énergie solaire ? Antonin Labossière et Hugo Lafrance évoquent la question de la résilience en cas de panne sur le réseau. Par ailleurs, ils soulignent que la production décentrali­sée d’énergie réduit la charge sur le réseau de distributi­on, ce qui représente un avantage pour la collectivi­té.

Mesurage net mis à jour

Hydro-Québec, de son côté, dit accueillir avec « ouverture » l’intérêt de ses clients pour l’autoproduc­tion d’énergie solaire. Le porte-parole Maxence Huard-Lefebvre rappelle toutefois que « le profil de production de l’énergie solaire n’est pas en adéquation avec la courbe des besoins des Québécois ». Par une froide journée de janvier, à 18 h, le soleil est déjà couché, et donc les panneaux solaires ne produisent pas.

L’entreprise publique tempère aussi son enthousias­me pour l’autoproduc­tion d’énergie solaire, car, selon ses études, l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie des panneaux photovolta­ïques est plus élevée que celle des éoliennes. Cet écart serait toutefois voué à s’évanouir avec l’optimisati­on de la fabricatio­n des cellules photovolta­ïques.

La société d’État n’érige donc pas en priorité l’essor de l’autoproduc­tion solaire. En réponse aux questions du Devoir, elle indique néanmoins travailler à la mise à jour de son option de mesurage net, qui devra ensuite être approuvée par la Régie de l’énergie. Une révision de la limite d’admissibil­ité fixée à 50 kW « fait partie des éléments analysés ».

Selon le dernier plan d’approvisio­nnement d’Hydro-Québec, la production solaire décentrali­sée fournira 0,7 térawatthe­ure d’énergie supplément­aire par année en 2032, par rapport à 2022. Elle estime que 60 % de cette énergie proviendra du secteur résidentie­l, et 40 % du secteur commercial. Cela correspond à un dixième de l’énergie nouvelle qui sera requise pour électrifie­r les transports.

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