L’absentéisme et l’abandon soufflent du vide dans nos écoles
Face à la pénurie de main-d’oeuvre et à l’inflation, les jeunes adultes fuient par en avant sur le marché de l’emploi
La pénurie de main-d’oeuvre et la hausse du coût de la vie ont fait grimper le taux d’abandon et chuter les inscriptions dans les centres de formation professionnelle et à l’éducation des adultes. De plus en plus de jeunes désertent les études pour accéder au marché de l’emploi.
L’absentéisme ou l’abandon soufflent du vide dans nos écoles. Nous assistons progressivement à la formation d’une gigantesque patinoire à ciel ouvert. Les jeunes qui, d’habitude, fréquentent nos centre sont nombreux à avoir rencontré des difficultés dans leur scolarisation. Ils ont eu des parcours antérieurs atypiques et difficiles, ils sont fragiles.
Certains, par dépit, se tournent vers le moment présent, ils vivent leur vie à plein régime, ils dépensent l’argent gagné maintenant pour acheter des satisfactions immédiates, des compensations identitaires, rester dans le coup, à jour avec les derniers appareils technologiques, rester connectés avec un réseau, s’identifier à un groupe social.
D’autres n’ont plus le choix, croientils : dans le cas de jeunes parents, c’est la seule solution envisageable pour pallier l’inflation, survivre à une récession, continuer de payer des factures qui ne cessent d’augmenter. Pour d’autres, enfin, il s’agit d’un prétexte attendu pour fuir le milieu scolaire, synonyme de dévalorisation et d’inconforts, et un milieu familial ébranlé par les années COVID. Ces jeunes fuient par en avant.
Pour tous, il importe d’acquérir un statut d’adulte, le statut de travailleur à plein temps, symbole d’autonomie et de liberté, une forme de reconnaissance sociale. Ils étaient, il y a quelques mois encore, des élèves en difficulté, des élèves avec des troubles, des besoins spéciaux, un DAP (dossier d’aide particulière), un suivi particulier. Ils deviennent chef d’équipe, gérant, associé…
Un avenir radieux ou un dérapage non contrôlable ?
Quatre flaques d’eau sont en train de geler sous leurs pieds. Il y a une différence fondamentale entre le rapport éducatif et le rapport professionnel : dans le rapport éducatif, l’élève et ses besoins sont la finalité première de l’intervention. Un ensemble d’intervenants, de toutes approches et disciplines, sont mobilisés pour répondre à ses besoins. L’élève est l’objet à former et à accompagner. Dans un rapport professionnel, c’est le profit ou le rendement de l’entreprise qui est la finalité et l’objet central des efforts engagés par tous les acteurs de la production.
Soudain, c’est comme si la pénurie de main-d’oeuvre et la difficulté d’offrir un service régulier avaient transformé tous les emplois en un gigantesque Walmart : horaires flexibles, conditions incohérentes, absence de suivi et formations incomplètes. Comment apprendre sur le tas quand même les gestionnaires sont à bout de souffle, rongés par l’anxiété et n’ont plus le temps de former la relève ? David vient d’apprendre après dix jours de travail qu’il vaut mieux démarrer la machine à café après avoir enlevé la cartouche de détergent.
On enlève le casque !
Un bon employé fournit un bon travail, point ! Sarah-Jane travaille de son mieux et ne comprend pas que les autres employés, souvent d’une génération précédente, lui reprochent son « indolence », ses retards, le manque de régularité dans la qualité de son travail. Elle espérait trouver un milieu où elle serait appréciée pour sa persévérance, elle ne comprend pas qu’il n’y ait pas plus de souplesse, d’adaptation à ses caractéristiques d’apprenante, elle supporte mal que la critique soit sans détour, sans ménagement.
Soudain, l’autorité lui paraît agressive, elle l’isole et elle n’arrive plus à s’adapter. La répétition du même scénario dans différents emplois est une véritable déception et elle se protège dans une attitude amère et défensive. « Son air bête », comme certains collègues lui disent.
On enlève le manteau douillet !
Travailler trop tôt, quand on ne sait pas encore gérer sa vie, c’est mettre le pied dans une spirale de consommation. Les prix augmentent, les besoins aussi lorsqu’on veut être fiable sur le marché du travail : voiture, appartement, vêtements, etc. Avec un salaire minimal, l’endettement arrive vite, puis il devient endémique, leurs épaules sont fragiles et peu larges. Francis a déjà quatre cartes de crédit à 19 ans.
On enlève le pantalon !
Croire qu’aujourd’hui, être travaillant suffit est une erreur. Lorsque la pression du milieu du travail s’accentue, que les outils technologiques demandent une adaptation constante, que la pression des pairs et des clients dessine un halo d’anxiété, beaucoup de jeunes grelottent. Les aptitudes à discerner les bonnes stratégies, les capacités à réinvestir des connaissances, la force de conserver une attitude adéquate sont mises au défi trop brutalement, dans la perspective unique d’un résultat rapide. Sarah ne se présente plus au travail depuis une semaine, elle reste dans sa chambre.
Alors l’estime de soi s’effondre, la sensation de ne pouvoir correspondre aux attentes, d’être inadéquat est ravageuse à 16, 17, 18 ans. Ce n’est plus juste une étiquette « avec difficultés, troubles, DAP, etc. » qui se forme dans la conscience de soi, c’est « inadapté, inutile, incapable ». Et ça fait bien plus mal ! On risque de parler bientôt d’échec d’intégration sociale et non plus de décrochage. Si les habitudes de vie sont à risque, jusqu’où cette décision hâtive les mènera-t-elle ?
Plus de bottines !
Les voyez-vous, ces jeunes épuisés qui tournent en rond dans les rafales ? J’espère tellement voir bientôt le retour dans nos centres de ces jeunes qui auront fait le bilan d’une expérience de l’emploi peu concluante. Dans quelques années, si l’orage ne fait pas trop de dégâts, ils reviendront dans nos classes pour une réorientation de carrière. En vérité, ce sera un retour à soi.
En attendant, nous, leurs clients dans la vie de tous les jours, soyons respectueux de leurs efforts, cessons d’attendre d’eux ce qu’ils ne sont pas encore en mesure de donner, sans être complaisants. Comprenons qu’ils en bavent et que leur trajectoire est fragile.