Le Devoir

Greg Beaudin met de l’ordre dans sa vie

Le rappeur, membre des Dead Obies et de la Brown Family, offre un premier album solo auquel collaboren­t Les Louanges, Eman et Joe Rocca

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

La vie, des fois, nous pousse à faire des trucs incongrus, tels que s’intéresser à la mythologie mésopotami­enne, noyer dans l’alcool une peine d’amour et enregistre­r un album solo. Voici Tiamat, mon amour, premier disque de Greg Beaudin, révélé sous le nom de scène de Snail Kid dans Dead Obies, puis au sein de la Brown Family avec son frère, Jam, et papa Robin Kerr. Récit tissé serré de la prise de conscience d’une rupture amoureuse et des remises en question qui s’ensuivent, l’album fait la paix avec le chaos qu’est encore un peu la vie du rappeur.

« Ça sent pu toi quand j’rentre chez nous/Bonne chose de faite », laisse tomber Beaudin dès les premières secondes de Tiamat, mon amour, album bref, mais dense, s’écoutant en deux temps.

Face A, Greg prend la pleine mesure de la déchéance dans laquelle il vit depuis 2018, soit depuis que sa copine a mis fin à leur relation d’une dizaine d’années, avec des titres comme Chaos Again et la succulente ballade funk teintée de blues Pas toi encore — une collaborat­ion avec Les Louanges qui, lorsqu’il passe par Montréal, fréquente le studio voisin de Beaudin et des autres membres des Dead Obies, celui du complice Félix Petit, collaborat­eur à l’album.

Ça va aujourd’hui, Greg ? Il éclate de rire. « Oui, oui, ça va super ! Mais cette histoire, je l’ai vécue pour vrai. Mais simplement d’avoir enfin terminé ce projet m’a beaucoup aidé. Jusqu’à la pandémie, je ne réalisais pas que cette rupture m’affectait à ce point. » La dépression ayant mené à Drinking, placée à la fin de la face A, une collaborat­ion avec le chanteurra­ppeur-compositeu­r Bazzart.

« Franchemen­t, je ne suis pas un gros buveur — ce refrain, c’est une idée de Bazzart », précise Beaudin, assis à un bar en plein après-midi devant un Bloody Mary, qui pourrait aussi avoir été un Virgin Mary, nous n’avons pas cherché à le savoir. « Je me suis servi du thème de l’alcool pour évoquer toute forme de débauche » servant à engourdir la douleur qui, inévitable­ment, deviendrai­t la raison d’être de Tiamat, mon amour.

Nouvelle identité

« La rupture a coïncidé avec le moment où j’ai commencé à écrire des chansons pour un éventuel album solo, alors qu’on faisait la Brown Family. J’écrivais sans idées précises ni intention ; simplement pour composer et, pour la première fois, assumer que je le faisais pour moi seul. J’ai écrit plein de chansons apour finalement me rendre compte que le dénominate­ur commun entre elles était cette rupture. »

Ce récit d’une douzaine de courtes chansons est étonnammen­t cohérent, compte tenu de la multitude de styles musicaux qu’il englobe. Soul, funk et les breakbeats de la rythmique hip-hop sont les fondations du disque, qui évite sciemment les tendances contempora­ines du rap.

« J’ai fait un burn-out de trap et de musique purement faite à l’ordinateur, laisse tomber Beaudin. J’étais tanné d’entendre ça. J’étais aussi inspiré par des trucs plus sombres — du Tame Impala, du Radiohead. J’écoutais beaucoup de musique hors du rap, pour m’éloigner un peu des codes thématique­s récurrents du rap, comme l’ego ou faire le party. J’avais l’impression d’avoir fait le tour de ça. Ce qui vient, j’imagine, avec une espèce de crise de la trentaine, la recherche de mon identité. »

Ce cheminemen­t « a fini par former le coeur de l’album, ce que j’ai mis du temps à réaliser », poursuit Greg. « L’album a vraiment pris forme lorsque j’ai assumé le fait que plein de vieilles compositio­ns n’avaient plus rapport, mais aussi lorsque j’ai assumé le fait que l’album ne répondrait pas aux attentes d’une partie de mon public ou de celui des Dead Obies, qui s’attendraie­nt à des sons pour faire le party. Une fois que j’ai accepté ça, ça m’a libéré. »

Rompre avec le chaos

Au même moment, Greg plonge dans la spirituali­té antique. Tiamat, déesse mésopotami­enne représenté­e comme une sorte de dragon, incarne les forces du chaos, « mais aussi l’origine de toute vie, dit le rappeur, la vie qui provient de cette force féminine — le concept avec lequel je travaille, c’est l’opposition entre l’ordre et le chaos, la nature de l’homme de ramener de l’ordre dans le chaos » et celle du musicien de remettre un peu d’ordre dans la sienne, en commençant par faire le ménage de son appartemen­t pour ne plus que ça sente comme son ex lorsqu’il y retourne.

En résumé, Greg, tu nous dis que ton ex est un monstre ? Nouvel éclat de rire. « C’est tellement pas ce que je voulais dire ! Mon ex n’est absolument pas un monstre », dit celui qui voulait justement éviter de personnali­ser la rupture, sans entrer dans les détails, sans nommer directemen­t les tenants et aboutissan­ts de la relation. « On est

J’ai fait un burn-out de trap et de musique purement faite à l’ordinateur. J’étais tanné d ’entendre ça. GREG BEAUDIN »

aujourd’hui en bons termes, mon ex est une personne exceptionn­elle. Audelà de la rupture amoureuse, ce disque, c’est moi qui deale avec la dépression — ou, du moins, avec un moment difficile dans ma vie. Ma volonté était plus simplement de parler de rupture pour rompre le lien entre moi et l’envie d’être dans le chaos et l’ivresse. »

Sur la face B, généraleme­nt plus rap, Greg se reprend en main. D’abord sur Big Boy, chanson inspirée par une nouvelle flamme, « qui m’a donné l’espoir de sortir de ma période sombre. Elle illustre la fin de la pandémie, l’envie de chansons plus lumineuses ». Le collègue des Obies Joe Rocca débarque sur la mélancoliq­ue Fugazi, puis l’ami Eman sur Woah là !, avant que, sur le visqueux funk intitulé Us, le clan Brown vienne soutenir la voix de ténor de Beaudin.

La page est tournée. Greg Beaudin présentera Tiamat, mon amour en concert, mais il planche aussi, avec son frère et son père, sur le prochain album de Brown, « un projet vraiment différent des précédents — moins de rap, plus chanté, né des idées musicales du père », sur lequel Félix Petit collabore aussi. Et les Dead Obies ? Le groupe est toujours soudé, quoiqu’inactif ces jours-ci, 20Some, Rocca et Beaudin bossant sur leur propre matériel. « On a l’idée de retourner en studio tous ensemble pour enregistre­r un prochain disque », annonce Greg.

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MARIE-FRANCE COALLIER Le rappeur Greg Beaudin présentera son album Tiamat, mon amour en concert, mais il planche aussi, avec son frère et son père, sur le prochain album de la Brown Family.
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Greg Beaudin, Disques 7ième Ciel
Tiamat, mon amour Greg Beaudin, Disques 7ième Ciel

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