Le Devoir

Schumann, mari et femme, unis en poésie

Un superbe album de Yannick Nézet-Séguin et Beatrice Rana

- CHRISTOPHE HUSS

Beatrice Rana et Yannick Nézet-Séguin ont enregistré l’été dernier à BadenBaden les concertos pour piano de Clara et de Robert Schumann. Le disque, d’une touchante force poétique, paraît vendredi chez Warner.

Clara Schumann, née Wieck, virtuose du piano et compositri­ce, vécut à une époque où il n’était pas de mise qu’une femme compose de la musique. Et dans les musiques qu’une femme n’avait surtout pas le droit de composer se rangeait au premier chef la musique orchestral­e.

Le concerto de Clara, en la mineur comme celui de Robert, a été entamé en 1833, alors qu’elle avait 14 ans, et créé en 1835. Lorsqu’elle épousa Robert en 1840, celui-ci n’avait pas encore touché à la forme piano et orchestre. Il le fit l’année suivante avec une fantaisie qui devint le 1er mouvement de son concerto composé en 1845.

Clara, cadette de son mari de neuf ans, était alors devenue femme au foyer. Clara et Robert eurent huit enfants, et Clara passa le reste de sa vie dans l’idée que composer n’était pas le rôle d’une femme, concept inculqué à la fois par son père et par son époux.

Magie du pianissimo

Réunir de manière posthume, au disque, Robert et Clara semblait chose évidente. Cela a pourtant été rarement fait, car l’industrie du disque a cultivé le couplage du concerto de Robert Schumann avec un autre concerto en la mineur, celui de Grieg.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, seuls des artistes pour le moins marginaux (Margarita Höhenriede­r avec Johannes Wildner, Lucy Parham avec Barry Wordsworth, Oleg Marshev avec Vladimir Ziva, Shoko Sugitani avec Gerard Oskamp et Judith Jauregui avec Tomas Grau) avaient jusqu’ici défendu ce couplage intrafamil­ial, certes déséquilib­ré, mais forcément intéressan­t.

Lorsque deux artistes tels que Beatrice Rana, ancienne lauréate du Concours musical internatio­nal de Montréal devenue vedette internatio­nale, et Yannick Nézet-Séguin s’attellent à la tâche avec l’un des plus souples et vibrants orchestres de chambre de la planète, l’Orchestre de chambre d’Europe, ils partent donc avec nombre d’avantages décisifs, dont une qualité instrument­ale hors pair, une irrésistib­le verve dans la dernière ligne droite du concerto de Clara (pour lequel la meilleure propositio­n est celle du duo Montero-Shelley avec l’Orchestre du CNA chez Analekta), mais aussi des évocations poétiques qui font la marque de leur interpréta­tion du fameux concerto de Robert.

Il existe sans doute plus de 200 enregistre­ments du concerto de Robert Schumann. Les deux atouts qui distinguen­t celui-ci sont la largeur de la palette de toucher de Beatrice Rana entre le plus infime pianissimo et la nuance piano ainsi que la juste proportion de l’orchestre, qui donne un superbe relief aux bois et une fraîcheur générale au son. Il n’y a pas, ici, un « mur de cordes » à passer pour que le piano dialogue avec une clarinette ou une flûte.

Beatrice Rana utilise sa finesse de toucher non pour minauder, mais pour induire une respiratio­n profonde, oscillant entre tendresse et exaltation. On le sent dès la première transition d’humeur du concerto, autour de 50 secondes. La pianiste italienne joue avec la même rigueur et la même sensibilit­é quand la jeune Clara de 14 ans dialogue « avec grâce » avec un violoncell­e dans la romance de son concerto, au finale si irrésistib­le.

Tout cela est splendide et couronné par un bis somptueux : la transcript­ion par Liszt de la mélodie Widmung (« Dédicace ») de Robert Schumann.

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Clara et Robert Schumann Concertos pour piano Beatrice Rana, Orchestre de chambre d’Europe, Yannick NézetSégui­n. Warner 5054197296­253.
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SIMON FLOWER La pianiste Beatrice Rana

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