Le Devoir

Un nouveau modèle d’incubation à la québécoise

Le travail des pépinières technos d’ici récolte dorénavant une reconnaiss­ance mondiale

- ALAIN McKENNA

Le succès engendre le succès, dit-on. De plus en plus reconnues à l’internatio­nal, les université­s québécoise­s, les firmes privées d’investisse­ment et les grandes fortunes du Québec inc. sont en train de créer un modèle québécois de l’entreprene­uriat et de l’innovation unique en son genre… et qui commence à rapporter gros.

La semaine dernière, le Centre Dobson et le Centech, des incubateur­s qui accueillen­t par dizaines les jeunes entreprise­s au fort caractère technologi­que associés respective­ment à l’Université McGill et à l’ETS, ont reçu une excellente nouvelle. Pour la première fois, deux pépinières québécoise­s de jeunes pousses figurent au sommet d’un palmarès mondial reconnaiss­ant les meilleurs organismes spécialisé­s dans cette étape cruciale où une idée issue de la tête d’un futur entreprene­ur devient un projet d’entreprise.

UBI Global a situé les deux centres montréalai­s parmi ses 10 plus hauts gradés dans l’édition 2022 de son palmarès annuel.

La firme a trié sur le volet plus de 1800 programmes d’aide à l’entreprene­uriat répartis un peu partout sur la planète et a relevé 120 endroits où il fait bon lancer sa propre start-up. Le palmarès exclut quelques organisati­ons privées et certains écosystème­s notoires, notamment ceux de la Silicon Valley et de la région de Boston, aux États-Unis, qui auraient probableme­nt devancé les deux centres montréalai­s, mais c’est un bémol qui n’embête pas Richard Chénier, qui dirige le Centech.

Un impact concret

« Une chose est sûre : nos incubateur­s universita­ires sont meilleurs que ceux qu’on trouve en Chine ou en Allemagne, dit-il au Devoir. UBI ne comptabili­se pas seulement la taille du portefeuil­le dans son palmarès. Il tient aussi compte de l’offre de services et de notre pouvoir plus général d’attraction. »

Le Centech n’a pas à avoir honte de son portefeuil­le pour autant. Le centre accueille bon an mal an une centaine de jeunes pousses. Une vingtaine de PME, la plupart du temps exportatri­ces d’innovation­s québécoise­s, en sortent chaque année.

Plutôt discret, le Centre Dobson est encore plus imposant. Les 250 startup qui le composaien­t l’an dernier ont récolté 2,2 milliards de dollars en investisse­ments. On doit à Dobson des entreprise­s milliardai­res comme Stingray, Paper et Sonders. Le constructe­ur de motoneiges électrique­s Taiga Motors en est également issu, tout comme la jeune pousse CarbiCrete, qui a trouvé un moyen de produire un béton sans ciment dont l’empreinte carbone est négative.

« Au début, le centre était un programme plus limité. L’implicatio­n de la Banque Nationale a permis de le faire évoluer, et aujourd’hui, nous avons ajouté un fonds de préamorçag­e. C’est une chose de développer l’innovation, c’en est une autre de bien la présenter pour trouver du financemen­t », résume la professeur­e et ancienne dirigeante de Google au Québec Marie-Josée Lamothe, qui fait partie des responsabl­es du Centre Dobson.

Le Québec inc., on sent plus sa présence, mais ça ne se matérialis­e pas encore suffisamme­nt RICHARD CHÉNIER »

Les fortunes privées engagées

La mention de la Banque Nationale n’est pas fortuite. Historique­ment, le Québec inc. a toujours été perçu comme frileux et peu désireux de s’impliquer dans l’innovation et la création de nouvelles technologi­es. Mais c’est en train de changer.

En fait, Mme Lamothe nuance cette impression. Les gens d’affaires québécois sont plus impliqués qu’on le pense dans l’aide aux jeunes entreprise­s, généraleme­nt par la gestion de leur portefeuil­le familial. « Le Québec inc. encourage beaucoup l’innovation, mais ça se fait de façon plus discrète et indirecte, par l’intermédia­ire de fonds spécialisé­s ou par la gestion de patrimoine », assure-t-elle.

« Nous travaillon­s avec beaucoup de family offices [bureaux de gestion de patrimoine] à McGill, d’ailleurs. »

Marie-Josée Lamothe, qui siège par ailleurs au conseil d’administra­tion d’Alimentati­on Couche-Tard, souligne la présence sur le campus de l’Université McGill d’un « dépanneur du futur » justement créé à l’initiative de la multinatio­nale de Laval.

Ça n’empêche pas les représenta­nts du secteur québécois des technologi­es d’espérer un engagement plus direct des gens d’affaires d’ici. « Le Québec inc., on sent plus sa présence, mais ça ne se matérialis­e pas encore suffisamme­nt. Nous sommes en période d’apprentiss­age, la culture est en train de changer », note de son côté Richard Chénier.

En cette ère de sobriété énergétiqu­e, le dirigeant du Centech aimerait notamment voir une société comme Hydro-Québec s’impliquer davantage, dit-il. La société d’État vient tout juste de fermer sa filiale InnovHQ, qu’elle avait justement créée en 2019 pour se rapprocher des jeunes pousses québécoise­s.

Un appui des grandes entreprise­s d’ici serait le bienvenu dans les prochains mois, alors que les craintes liées à l’économie mondiale ralentisse­nt les investisse­ments dans plusieurs industries. « Les prochaines années vont être difficiles. On a eu de bonnes années depuis 2020, mais on sent que ça va ralentir. Ça va dépendre s’il y a récession ou pas », poursuit M. Chénier.

Québec inc. ou pas, il y aura toujours des incubateur­s comme le Centech et le Centre Dobson pour venir en aide aux nouveaux entreprene­urs.

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