Le Devoir

L’interminab­le attente de Haya

La jeune Gazaouie pense-t-elle revoir sa famille bientôt ? « Je ne peux pas répondre non, mais je ne peux pas être sûre à 100 %. Je travaille là-dessus très fort. »

- LISA-MARIE GERVAIS LE DEVOIR

Près de quatre mois après l’ouverture d’un programme canadien offrant 1000 visas temporaire­s à des Palestinie­ns de Gaza, aucun n’a encore foulé le sol canadien. Pour Haya Elsayyed, qui aimerait accueillir au Québec ses parents et ses deux frères, l’attente est interminab­le.

« Je veux juste qu’ils soient là avec moi. » Dans un petit café de Sherbrooke, la jeune Palestinie­nne de 25 ans jase et s’anime. Elle déguste un latté, enveloppée d’un confortabl­e coton ouaté décoré de paillettes qui tranche avec les horreurs qu’elle évoque.

« Le matin du 7 octobre, j’étais à Gaza. Je me suis réveillée à 5 h et j’avais prévu aller prendre une marche à la plage au lever du soleil avec ma cousine, qui devait d’abord préparer ses jumeaux pour l’école. Ma mère aussi se préparait à aller enseigner, mes frères s’en allaient à l’université. Mon père, lui, restait à la maison », raconte-t-elle. « À 6 h 20, tout a… » a-t-elle ajouté, sans finir sa phrase qui s’est noyée dans sa mousse de lait.

Elle n’a pas vu sa cousine ce matinlà, trop occupée à fuir les attaques. Et elle ne la reverra plus. Deux semaines après leur rendez-vous manqué, sa cousine, son mari et leurs enfants ont péri dans le bombardeme­nt de leur maison. « Son corps n’a pas été enterré. Elle est encore quelque part en dessous », a soufflé Haya. « Pour moi, elle est vivante. J’ai l’impression qu’un jour, je vais retourner à la plage et prendre cette marche avec elle. »

De ville en ville, Haya et sa famille ont fui la violence, en allant se réfugier chez les grands-parents, l’oncle ou encore dans la maison familiale. La dernière fois, à la mi-novembre, ils sont partis sous la pression de l’armée, à la pointe des fusils. « On nous demandait nos cartes d’identité, ils kidnappaie­nt des gens, les faisaient se déshabille­r devant tout le monde. Je n’entrerais pas dans tous les terribles détails, a-t-elle confié. Mais deux jours après, ils ont brûlé le quartier. »

Comme cette diplômée en biotechnol­ogie avait déjà vécu à Montréal et obtenu la résidence permanente, son nom était sur la liste de ressortiss­ants canadiens qui pouvaient traverser la frontière jusqu’en Égypte. Ce qu’elle a fait début décembre. « Ça a été très difficile. J’ai quitté Gaza avec mon téléphone, mon chargeur, quelques cartes, mon Coran et la chemise et le pantalon que je portais. C’est tout. »

Un programme plein d’espoir

Le 9 janvier, le gouverneme­nt canadien a mis sur pied une voie d’accès pour octroyer 1000 visas temporaire­s à des Gazaouis. Avec l’aide de Geneviève Nadeau, une Sherbrooko­ise mariée à un Palestinie­n, Haya Elsayyed a travaillé sans relâche à monter le dossier des quatre membres de sa famille immédiate, qu’elle a fini par déposer sur le portail à la seconde où le programme a ouvert. « On devait ensuite nous donner un code pour qu’on puisse appliquer à la 2e étape, mais on n’avait pas de nouvelles. »

Deux semaines après le lancement, le quota de 1000 avait été pratiqueme­nt atteint. Les plus récentes données indiquent toujours que 986 demandeurs ont reçu « un code de référence unique », qui permet de passer à la 2e étape et de soumettre une demande de visa de résident temporaire (VRT) pour trois ans dans le portail d’Immigratio­n Canada.

Or, comme il est impossible de faire une prise de données biométriqu­es depuis Gaza, il faut que les candidats réussissen­t à fuir dans un tiers pays pour pouvoir finaliser leur dossier. Le Canada dit n’avoir aucun contrôle là-dessus, et jusqu’ici, seuls 153 Gazaouis ont réussi à partir par leurs propres moyens et ont pu remplir leur demande.

Début mars, le ministre de l’Immigratio­n, Marc Miller, s’était engagé à relever le plafond de 1000 Palestinie­ns. Son ministère a confirmé au Devoir qu’il « augmente le nombre de codes de référence uniques délivrés », mais sans dire combien.

Depuis qu’elle est arrivée à Sherbrooke cet hiver, Haya a remué ciel et terre. En quelques jours à peine, elle a réussi à rencontrer des députés et de nombreux médias. « Je m’étais promis que je parlerais à tout le monde de ce qui arrive. »

Le 26 mars dernier, par leurs propres moyens, ses parents et ses frères ont pu partir pour l’Égypte à fort prix, à travers une agence, mais aussi grâce à leurs amis qui se sont mobilisés pour les aider. C’est à ce moment-là que la famille a reçu le fameux « code ».

Le père de Haya est inspecteur de langue française dans la bande de Gaza pour le ministère de l’Éducation. Sa mère, professeur­e d’anglais au niveau collégial. Ses deux frères parlent français et anglais : l’un est diplômé en génie, l’autre a entamé des études de médecine. Pour Haya Elsayyed, il est évident que sa famille a beaucoup à apporter au Québec. « Mes parents ne sont pas à la retraite. Ils veulent travailler. »

En sécurité, mais inquiète

Même si Haya est maintenant en sécurité, sa vie n’est pas sans tourments. À la télé, sur les réseaux sociaux, il continue de pleuvoir des bombes sur son peuple. Elle se sent parfois coupable de détourner le regard pour se concentrer sur sa vie ici. « Au début, j’avais l’impression de trahir mes parents », dit-elle. « Je n’osais pas leur montrer que je pouvais boire un café, parce qu’eux ne pouvaient pas. Mais maintenant, je leur dis tout. »

Sa maison, sa chambre, la mer… tout lui manque. « Un jour, je vais retourner à ma maison et l’étreindre », dit-elle. «On avait des poissons, des oiseaux. On les a évacués en même temps que nous, mais ils se sont envolés. » Et avec eux, l’espoir de retrouver la vie d’avant.

En attendant de redéployer ses propres ailes, Haya renoue avec le français que son père lui avait enseigné et espère pouvoir commencer bientôt la francisati­on. Elle cherche activement un emploi et se fait des amis. De tous types. « Je vais courir autour du lac et je suis devenue amie avec les chiens, les oiseaux d’ici et les canards », ditelle en riant.

Pense-t-elle revoir sa famille bientôt ? « Je ne peux pas répondre non, mais je ne peux pas être sûre à 100 %. Je travaille là-dessus très fort. »

Au printemps, c’est dans l’ordre des choses : les oiseaux reviennent toujours.

Ça a été très difficile. J’ai quitté Gaza avec mon téléphone, mon chargeur, quelques cartes, mon Coran et la chemise et le pantalon que je portais. C’est tout.

HAYA ELSAYYED »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Dans un petit café de Sherbrooke, Haya Elsayyed montre fièrement son coton ouaté sur lequel on peut lire « This is my party t-shirt ». La jeune Palestinie­nne de 25 ans jase et s’anime tout en dégustant un latté.

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