Les jeunes, cette force électorale qui n’écoute plus
Les adultes nés entre 1980 et 2012 — les millénariaux et la génération Z — sont maintenant incontournables dans le jeu politique
Les jeunes Canadiens n’ont jamais été autant dans la mire du gouvernement Trudeau. Plus nombreux que les babyboomers au pays, les millénariaux, maintenant âgés de 28 à 44 ans, sont la force électorale à séduire en vue des prochaines élections. Et le Parti libéral du Canada (PLC), toujours en mauvaise posture dans les sondages, redouble d’efforts pour les conquérir. En vain.
Ottawa ne s’en cache pas : le budget fédéral présenté la semaine dernière se targuait de prôner l’« équité intergénérationnelle » — un « indicateur clair » que les libéraux s’efforcent de plaire aux jeunes électeurs, bien qu’ils ne soient pas la clientèle électorale la plus « facile », souligne le politologue Philippe Dubois, professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
« On le sait, les jeunes votent généralement moins que les électeurs plus âgés. En même temps, ils représentent aujourd’hui un poids démographique très important, qui fait d’eux des incontournables », note-t-il en entrevue au Devoir.
Les millénariaux comptent aujourd’hui pour 23 % de la population canadienne, soit environ 9,3 millions de personnes. Et la génération suivante, la « Z » (composée de gens nés entre 1997 et 2012), se classe au troisième rang en nombre absolu. Et si leurs habitudes de participation électorale les rendent moins « payants », tous les partis fédéraux ont tout de même intérêt à les courtiser, à l’heure où des circonscriptions se gagnent parfois par peu de votes, ajoute le professeur.
Des dix courses décidées par les plus petites marges lors des élections fédérales de 2021, sept ont été remportées par les libéraux. La libérale Brenda Shanahan avait par exemple remporté la circonscription de Châteauguay-Lacolle par à peine 12 voix.
Même constat dans les circonscriptions à forte concentration de jeunes Canadiens. Sept des dix circonscriptions fédérales affichant la plus grande proportion d’habitants de 25 à 29 ans (selon les données du recensement du Canada de 2021) sont détenues par les libéraux. Les ministres Marc Miller, Steven Guilbeault et Chrystia Freeland sont du lot.
Un budget sans effet ?
Seul problème : plus d’une semaine après le dépôt du budget pour « redonner une chance équitable à chaque génération », les sondages ne démontrent toujours aucun mouvement dans les intentions de vote des jeunes Canadiens. « Les libéraux ont complètement perdu le nord avec les jeunes », lâche l’analyste de sondages Philippe Fournier, fondateur des plateformes 338Canada et Qc125.
Le Parti conservateur du Canada (PCC), dirigé par Pierre Poilievre, domine toujours dans les intentions de vote — et ce, dans toutes les tranches d’âge. Plusieurs coups de sonde nationaux donnent maintenant 20 points d’avance aux conservateurs. Le Québec est la seule région où ils ne sont pas en tête ; ils s’y rangent deuxièmes, derrière le Bloc québécois.
Chez les électeurs de la génération Z, les libéraux sont même en troisième place, derrière le Nouveau Parti démocratique et le PCC, selon l’Institut Angus Reid. Le coup de sonde révèle que, même si certaines mesures budgétai
res ont été appréciées, de nombreux Canadiens se disent peu convaincus qu’elles amélioreront leur situation financière personnelle, la crise du logement ou l’économie générale du pays.
Ces préoccupations sont les mêmes pour les jeunes, indique Philippe Fournier. « Ils s’inquiètent plus pour l’environnement que les plus vieux, mais aussi de l’inflation, du logement, du coût de la vie… Ce n’est pas très différent des autres tranches d’âge. »
Même s’il convient qu’il est encore tôt pour mesurer les effets du budget, reste que les impressions laissées par le premier ministre libéral Justin Trudeau sont « horribles ». « Les gens n’écoutent plus », résume-t-il.
De nouvelles stratégies
L’argument de l’équité intergénérationnelle n’était pas la seule tactique adoptée par le PLC pour faire connaître ses mesures budgétaires aux jeunes. Pour la deuxième année, le ministère des Finances a invité une cohorte de sept créateurs de contenu au huis clos du budget, traditionnellement réservé aux journalistes et aux experts.
Gabrielle Gauthier-Veillette, « tiktokeuse » et collaboratrice chez Noovo Info, faisait partie des deux seuls créateurs québécois invités à Ottawa cette année. La conseillère en sécurité financière de 28 ans, qui cumule près de 30 000 abonnés sur TikTok, a pris la route de Trois-Rivières afin de faire partie des premiers à découvrir le budget — et préparer un court récapitulatif sur ses réseaux sociaux.
« Les jeunes n’ont pas l’impression que les politiciens représentent leurs valeurs », lâche-t-elle au bout du fil. « Je pense que [notre présence] est une belle manière de les informer, de rendre la politique plus accessible et plus intéressante ».
Ses abonnés n’ont pas tardé à réagir aux différentes mesures budgétaires présentées sur sa page TikTok. Le taux d’inclusion de l’impôt passant de 50 % à 66,67 % pour les gains en capital de plus de 250 000 $ n’a pas eu la cote. « Avec le coût de la vie actuel, beaucoup de jeunes se lancent en immobilier ou investissent tôt dans leur vie. C’est une mesure qui va finir par les toucher éventuellement, quand ils voudront vendre leurs biens immobiliers ou leurs placements », illustre-t-elle.
Le ministère des Finances précise qu’il n’a pas rémunéré les sept créateurs de contenu conviés à Ottawa. Son équipe de communications leur a toutefois permis de consulter le budget dans une salle privée, ainsi que de rencontrer personnellement la ministre des Finances, Chrystia Freeland, et d’autres ministres, lors d’une séance photo.
Pour le professeur à l’ENAP Philippe Dubois, ce recours à des personnalités en ligne est tout à fait dans l’air du temps. « Ça peut être une stratégie prometteuse, parce qu’ils vont reformuler, redéployer le discours officiel gouvernemental dans un langage et un format qui plaît à leur communauté », souligne-t-il.
En novembre dernier, l’équipe du premier ministre a fait appel aux services d’un spécialiste en image et en marketing, Max Valiquette, reconnu pour son expertise auprès des jeunes millénariaux et la génération Z. Ce dernier a notamment cofondé un cabinet-conseil en marketing et en communications axé sur les jeunes.