L’ancienneté d’un squelette remis en cause à Lévis
Des analyses préliminaires avaient surpris les archéologues en fixant à 1587 la date du décès de cet Européen d’origine
Le demi-squelette exhumé au pied des falaises du Vieux-Lévis en 2015 ne daterait pas du XVIe siècle comme l’avaient annoncé les premières analyses au carbone 14 réalisées sur la dépouille. Cet homme, dont il ne reste plus que les membres inférieurs et les phalanges, serait plutôt décédé entre 1729 et 1808.
« Il y a 51 % de chances que ce soit dans cette fourchette, explique Isabelle Ribot du Laboratoire de bioarchéologie humaine de l’Université de Montréal, et 29 % de chance pour que ce soit un peu plus ancien. Mais le plus probable, c’est le XVIIIe siècle. »
La nouvelle datation est appuyée par les données isotopiques. « Nos os reflètent ce qu’on mange, rappelle Mme Ribot. On voit que cet individu avait une alimentation peu protéinée et qu’il semblait ne pas manger de plantes comme le maïs, qui étaient plutôt consommées par les populations autochtones. Il avait une alimentation similaire aux populations coloniales du XVIIIe siècle. »
Les analyses préliminaires effectuées par l’Université de Californie en 2016 avaient surpris les archéologues en fixant à 1587 la date médiane du décès de cet Européen d’origine, soit entre les voyages exploratoires de Jacques Cartier au Canada et la fondation de Québec par Samuel de Champlain.
Les regards des spécialistes s’étaient tournés vers les pêcheurs basques qui fréquentaient l’estuaire du Saint-Laurent à l’époque des premiers contacts avec les Autochtones. On avait également évoqué la possibilité que le défunt soit un membre de l’équipage de Jacques Noël, le neveu de Cartier, qui avait obtenu des droits d’exploitation dans la région en 1588.
Mystère
Le changement de datation de « l’Homme de Lévis » qui a été découvert sous un terrain vague lors de travaux d’enfouissement de fils électriques n’est pas inhabituel pour l’archéologue d’Hydro-Québec, Isabelle Duval. « Dès le départ, on savait que cette datation-là était incertaine. »
C’est dans ce contexte que le demisquelette a été confié au Laboratoire de bioarchéologie humaine de l’Université de Montréal. Le défunt en est ressorti rajeuni et apatride, les origines basques qui lui avaient été attribuées n’ayant pu être validées par l’analyse de son ADN. Il en va de même du scorbut typique du XVIe siècle que l’on avait cru déceler sur ses restes. « Avec le scorbut, on a une perte de densité osseuse et ce n’est pas le cas pour cet individu, souligne Mme Ribot. Alors le diagnostic reste ouvert. »
Les fouilles archéologiques menées durant l’été 2022 ont permis de dégager cinq autres squelettes à proximité de celui exhumé par Hydro-Québec en 2015. Les résultats d’analyse de ces ossements devraient être révélés « prochainement », explique le relationniste Michel Thisdel, de la Ville de Lévis. Un appel d’offres est en préparation en vue de la reprise des fouilles.
Nécropole
La découverte d’ossements humains à l’ombre des falaises du Vieux-Lévis n’est pas inhabituelle. En témoignent la quinzaine de dépouilles qui ont été exhumées lors de travaux d’excavation réalisés le long de la rue Saint-Laurent dans la seconde moitié du XIXe siècle.
L’un des squelettes mis au jour en 1875 à proximité du débarcadère des traversiers avait surpris les contemporains par la présence d’un fer à cheval sur sa cage thoracique, que les fossoyeurs superstitieux utilisaient autrefois pour empêcher les défunts de revenir hanter les vivants. De gros anneaux entouraient également les poignets de ce cadavre mystérieux auprès duquel se trouvait une sorte de poignard. « On suppose que le squelette est la dépouille de quelque grand criminel qui aurait été enterré en cet endroit après avoir été exécuté », lit-on dans les journaux de l’époque.
Le nombre d’ossements exhumés entre les côtes Bégin et du Passage depuis le milieu du XIXe siècle intrigue les archéologues en l’absence d’un cimetière ou d’un lieu de culte à proximité. La présence du camp principal de l’armée britannique du général Wolfe au sommet du promontoire de Lévis en 1759 laisse songeur.
Selon la tradition orale, la bande de terre étroite située au pied des falaises aurait accueilli les corps des soldats anglais décédés durant le siège de Québec. C’est du moins ce qu’affirme JeanBaptiste Duclos dans les pages de La Minerve en 1865. Le témoignage de ce septuagénaire serait crédible, nous dit ce journal, ce dernier étant « doué d’une mémoire prodigieuse » et « d’un bon jugement ». Les fosses communes contenant les « habits rouges » seraient aux abords des jardins de la veuve Labadie, selon les souvenirs de Duclos, qui est né 30 ans après les événements.
Le demi-squelette découvert par Hydro-Québec en 2015 pourrait-il être rattaché à cet épisode de la guerre de la Conquête ? « Il est un peu tôt pour le dire, prévient l’archéologue Isabelle Duval, mais peut-être, ça pourrait être des belles pistes d’hypothèses. »
Avec le scorbut, on a une perte de densité osseuse et ce n’est pas le cas pour cet individu
ISABELLE RIBOT »