Le Devoir

Être ou ne pas être… irlandais

La pièce Pas maintenant ramène en forme courte l’auteur d’Ulster American

- MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE

La Licorne nous a fait découvrir le bien nommé dramaturge David Ireland, grâce à la comédie noire Ulster American, reprise cet hiver dans la grande salle. Courte pièce proposée en formule 5 à 7 dans la salle de répétition par le Théâtre Bistouri, Pas maintenant est ancrée elle aussi dans l’histoire et la culture de son Irlande du Nord natale.

On reconnaît d’ailleurs brièvement, dans l’un de ses dialogues, un débat — qui était central dans la très caustique satire — autour de l’identité des personnage­s, des protestant­s vivant en Ulster : sont-ils irlandais ou britanniqu­es ?

Alors qu’il vient d’enterrer son père, le jeune Matthew (Antoine Nicolas) s’apprête à partir pour Londres afin de passer une audition dans une école de théâtre réputée. Il répète sa scène de Richard III lorsque son oncle Ray (Jean-Sébastien Lavoie) fait irruption. Tout profane soit-il, Ray donne son avis sur ce que son neveu devrait auditionne­r et comment. Des conseils qui exaspèrent puis ébranlent l’aspirant acteur, qui se met à douter. Peu sûr de lui, Matthew ne devrait-il pas plutôt jouer Hamlet ? Et devrait-il même partir, alors qu’il est en deuil ?

Comme entre Hamlet et son oncle, le fantôme du père va venir s’immiscer entre les protagonis­tes : Matthew révèle qu’il connaît désormais un secret entourant le passé paternel. Le jeune homme se révolte alors contre les mensonges familiaux, qui sont liés aux « Troubles », période sanglante de l’Irlande du Nord — quelques références contenues dans le dialogue avaient sûrement plus d’échos pour le public britanniqu­e.

Sans être aussi hilarante qu’Ulster American, la pièce Pas maintenant amuse d’abord, notamment avec le fossé culturel séparant Matthew, l’adepte de Stanislavs­ki, et Ray, le peintre en bâtiment qui ne lit guère, mais possède les adaptation­s de Shakespear­e en DVD. Il y a toutefois des effets comiques un peu faciles, comme cette incapacité de l’oncle à mémoriser les noms propres, lui qui tord ceux de plusieurs célébrités.

Mais en moins d’une heure, David Ireland navigue habilement de la comédie à la gravité, du théâtre à l’histoire, familiale et nationale. Et ultimement, la pièce mise en scène par Marc-André Thibault dessine un beau portrait d’un personnage qui, sous ses dehors un peu lourds et mal dégrossis, se révèle plutôt touchant, porté de façon très crédible par Jean-Sébastien Lavoie.

Et ce qui sous-tend le texte — les rapports coloniaux entre l’Irlande et l’Angleterre — peut rappeler une situation familière ici. Ray, bien qu’ambigu dans son propre rapport à sa patrie, qu’il encourage son neveu à quitter, insiste pour que celui-ci joue Richard III avec sa propre voix plutôt qu’en empruntant l’accent châtié qu’il juge approprié à Shakespear­e. Il est donc question ici d’assumer son identité nationale propre et son héritage culturel.

 ?? MARYSE BOYCE ?? Pas maintenant Texte : David Ireland. Traduction et mise en scène : Marc-André Thibault. Production du Théâtre Bistouri. Jusqu’au
10 mai, à la salle de répétition du théâtre La Licorne.
Antoine Nicolas et Jean-Sébastien Lavoie (à droite) dans une scène de la pièce Pas maintenant.
MARYSE BOYCE Pas maintenant Texte : David Ireland. Traduction et mise en scène : Marc-André Thibault. Production du Théâtre Bistouri. Jusqu’au 10 mai, à la salle de répétition du théâtre La Licorne. Antoine Nicolas et Jean-Sébastien Lavoie (à droite) dans une scène de la pièce Pas maintenant.

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