Le Devoir

Lent à la détente

- MARIE VASTEL

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau, dans le dossier de l’interdicti­on des armes d’assaut de style militaire, tire à blanc depuis quatre ans. Ces armes meurtrière­s ont beau avoir été interdites, cette prohibitio­n n’a toujours pas été pérennisée par leur confiscati­on. Et voilà que le partenaire qui était privilégié pour mener enfin à bien le programme de rachat, toujours manquant, cherche à se retirer de l’équation. Ottawa espérait pouvoir compter sur la collaborat­ion de Postes Canada et de ses employés pour récupérer les armes à feu confisquée­s, lesquelles seraient remises par leurs propriétai­res qui les auraient d’abord déchargées et sécurisées. Or, le journalist­e Daniel Leblanc, de Radio-Canada, révélait cette semaine que la société des postes le refuse. Elle s’inquiète pour la sécurité de ses employés lors de la manutentio­n de telles marchandis­es, ainsi que de la réception de ces colis des mains de propriétai­res qui pourraient être contrariés de devoir s’en départir.

Les libéraux affirment poursuivre les pourparler­s et être à la recherche d’une autre solution. Mais à cinq jours du quatrième anniversai­re de l’annonce en grande pompe de cette interdicti­on — qui demeure théorique puisque, bien que prohibées, ces armes d’assaut n’ont pas été récupérées —, le gouverneme­nt semble surtout toujours aussi embourbé. En effet, il vient ainsi de perdre l’avenue qu’il jugeait la plus efficace (Postes Canada a déjà pignon sur rue partout sur le territoire) et la moins coûteuse (la rémunérati­on de ces employés est bien en deçà de celle des agents de police).

Les chefs des corps policiers ont d’ailleurs prévenu le gouverneme­nt qu’ils ne voulaient pas hériter de ce cafouillag­e, arguant qu’ils souffrent déjà de manques d’effectifs sur le terrain. Et bien que le Québec ait offert d’épauler le fédéral, puisque la Sûreté du Québec procède elle-même à la récupérati­on et à la destructio­n d’armes à feu, quatre provinces canadienne­s ont averti qu’elles n’en feraient pas autant. L’Alberta et la Saskatchew­an ont même adopté une loi visant à exempter du programme de rachat fédéral les agents des polices municipale­s ou de la Gendarmeri­e royale du Canada — de compétence partagée là où elle intervient comme police provincial­e.

Le scénario néo-zélandais, où 56 000 armes ont été réquisitio­nnées en six mois en transitant justement par les mains de la police, est donc exclu. Les contrecoup­s de croissante­s tensions entre le fédéral et les provinces sont multiples.

L’indispensa­ble rachat de ces armes d’assaut, afin qu’elles soient irrévocabl­ement détruites, est de surcroît une responsabi­lité toute fédérale. Il revenait au gouverneme­nt de Justin Trudeau d’y veiller dès le départ, budget à l’appui, plutôt que de s’enliser dans une telle improvisat­ion. D’autant plus que, minoritair­e, il n’avait pas le luxe du temps. Dont il dispose aujourd’hui encore moins, menacé d’être remplacé dans tout au plus un an et demi par le Parti conservate­ur de Pierre Poilievre, qui envoie aux propriétai­res et aux marchands d’armes à feu le signal qu’il leur redonnera illico le droit de conserver toutes leurs armes si elles n’ont pas été cédées d’ici là.

Le contrôle des armes à feu — ou la menace de son relâchemen­t par les conservate­urs — avait bien servi les libéraux lors de la dernière campagne électorale. Cette priorité de sécurité publique ne doit cependant pas servir de simple munition aux débats clivants du moment. Faute d’un dénouement rapide, il sera difficile de conclure que le gouverneme­nt Trudeau était aussi de cet avis.

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