Chicago se délecte de l’effet The Bear
Surfant sur l’immense succès de The Bear, la Ville des vents et de la pizza à croûte profonde propose de visiter les principaux lieux de tournage de la savoureuse série culinaire ayant remporté six prix Emmy en 2024. Reportage dans le Chicago de Carmy, Sy
En ce beau matin, le soleil n’a pas encore eu le temps de réchauffer les trottoirs frigorifiés du quartier ukrainien de Chicago. Il est 8 h 30. Le Kasama n’ouvre ses portes que dans 30 minutes. Et ils sont déjà nombreux à braver le froid dans une interminable file d’attente qui s’étire jusqu’à l’angle du boulevard Augusta et de l’avenue Wolcott. Le premier restaurant philippin étoilé au Michelin, qui fait office de boulangerie en avant-midi, a toujours joui d’une excellente réputation. Mais The Bear a clairement changé la donne.
Depuis que Kasama est apparu dans la série à succès, tout le monde veut goûter au sandwich déjeuner à la longanisa (saucisse des Philippines), découvert par Sydney lors de son épopée culinaire du troisième épisode de la seconde saison. En quête d’inspiration, la sous-cheffe campée par la géniale Ayo Edebiri s’est embarquée dans une folle tournée des restos de Chicago. Ces derniers ont tous profité de cette publicité plus que bienvenue au sortir d’une pandémie dévastatrice.
Un vrai phénomène viral
Comme le Kasama, le Lao Peng You a bénéficié de ce qu’on a appelé l’effet The Bear. « Dès que l’épisode de la deuxième saison a été diffusé, on a vraiment vu une différence. On a eu pas mal d’influenceurs qui ont partagé des vidéos sur Instagram et TikTok », me glisse le gérant du restaurant de dumplings, Arturo Barbosa. Devenu un phénomène viral, le Lao Peng You, où Sydney vient se délecter d’une exquise soupe de raviolis, a mis en place une liste d’attente, à défaut de prendre les réservations.
Nul besoin pour autant de poireauter de longues heures durant pour vivre l’expérience The Bear. Depuis l’automne dernier, le « Yes, Chef ! Tour » fait honneur à la réplique culte de la série en embarquant les fans dans un minibus à la découverte de tous les établissements, ou presque, vus à l’écran. La visite guidée organisée par l’entreprise Chicago Food & City Tours débute chez Mr. Beef. C’est dans cette baraque à sandwichs italiens de North Orleans Street qu’a été filmé le premier épisode de The Bear.
De la réalité à la fiction
Ce qui ne doit rien au hasard. Le propriétaire de Mr. Beef, Chris Zucchero, n’est autre qu’un ami d’enfance du créateur de The Bear, Christopher Storer. Lorsqu’il a quitté Chicago pour s’installer à Hollywood, le second avait promis au premier qu’il écrirait un jour une histoire sur son restaurant. Fondée en 1979 par le père de Zucchero, Joe, la petite entreprise a surmonté bien des crises et des tourments pour survivre au coeur d’un quartier qui s’est considérablement embourgeoisé.
Cette affaire de famille et de résilience a nourri l’inspiration de Christopher Storer. L’Original Beef of Chicagoland de la série doit ainsi beaucoup au Mr. Beef de la vraie vie. Pour le tournage du pilote, où Carmy Berzatto (joué par l’excellent Jeremy Allen White) reprend en main la sandwicherie de son défunt frère, seule l’enseigne extérieure du restaurant a été changée. Difficile de ne pas penser à The Bear quand on pousse aujourd’hui la porte grinçante du Mr. Beef pour commander un sandwich au boeuf baignant dans la sauce brune.
Des sandwichs par centaines
Déjà populaire avant la série, le restaurant de River North a lui aussi bénéficié de l’effet The Bear. Une nouvelle génération de clients se presse désormais au comptoir, sous les photos dédicacées de quelquesuns des plus anciens et fameux habitués, tels l’animateur Jay Leno et l’acteur Joe Mantegna. Comme il l’a révélé au New York Times, Chris Zucchero a plus que doublé ses ventes, en écoulant jusqu’à 800 sandwichs quotidiennement. Et ce, alors qu’il ne croyait pas du tout, au départ, au succès de The Bear.
Autre effet inattendu : la populaire série a remis au goût du jour une institution plus que centenaire de Chicago. Dans le quartier de Bucktown, au nord de la ville, Margie’s Candies sert des délices sucrés depuis 1921. Et la confiserie a accueilli du beau monde devant ses juke-box joliment rétro. « C’est à cette table que les Beatles ont mangé une glace après leur concert de 1965 au Comiskey Park. Des années plus tard, Mick Jagger a demandé à s’asseoir à la même place », me raconte le cuisinier Dave Zino.
L’ancien chef de 65 ans, devenu guide sur les lieux de tournage de The Bear, montre ensuite du doigt un autre coin de table. Celui où Sydney a plongé sa cuillère dans une coupe glacée décadente durant son inoubliable aventure au plus profond de la scène gourmande de Chicago. Ce moment marquant a fait connaître Margie’s Candies aux plus jeunes, en même temps qu’il a constitué un virage important dans la série. Une sorte de déclic, alors que la gargote bordélique de l’Original Beef s’apprête à se transformer en authentique restaurant gastronomique.
Plus en avant dans la deuxième saison, une métamorphose tout aussi impressionnante se produit au cours du septième épisode. Après avoir, entre autres, vendu de la cocaïne dans l’arrière-cour de l’Original Beef, Richie (incarné par l’incroyable Ebon Moss-Bachrach) se découvre une vocation de maître d’hôtel tiré à quatre à épingles. Un miracle opéré du côté du quartier de Fulton Market, dans les cuisines du restaurant Ever, où le cousin dépenaillé de Carmy vient apprendre les bonnes manières.
S’il n’a que deux, et pas trois étoiles au Michelin, comme le prétend la série, le prestigieux établissement du chef Curtis Duffy flirte avec l’excellence culinaire. En coulisse, une armée de serveurs exécute un majestueux ballet dans une ambiance très feutrée. On est loin ici du chaos qui règne le plus souvent entre Carmy et les siens. Mais l’affriolante expérience gastronomique en 10 temps proposée au Ever donnerait presque envie de crier un « Yes, chef ! » de satisfaction. Et si c’était aussi ça, l’effet The Bear ?
Le propriétaire de Mr. Beef, Chris Zucchero, n’est autre qu’un ami d’enfance du créateur de The Bear, Christopher Storer