365 jours d’autonomie alimentaire aux îles de la Madeleine
« C’est non seulement une démarche personnelle, mais aussi un hommage aux Îles », admet le vidéaste professionnel de 28 ans, qui note le tout pour en faire un livre ainsi qu’un film documentaire, qu’il espère dévoiler quelque part au printemps 2025. Rencontre avec un locavore passionné.
D’où est venue l’idée de ce projet ?
Adolescent, j’ai quitté les îles de la Madeleine pour aller apprendre le cirque à Québec. À la suite d’une blessure, j’ai changé de domaine et j’ai étudié le cinéma documentaire. Je cherchais activement à revenir aux Îles, donc j’ai trouvé une petite job de vidéaste pour entreprises. Je n’ai pas aimé, alors j’ai démissionné et j’ai essayé des trucs ici et là, dont le fait de devenir pêcheur de crabe, de flétan, charpentier… Avant de me décider à fonder ma propre entreprise de production vidéo.
Ça fait longtemps que je mijote le projet de rencontrer quelqu’un qui allait relever le défi de manger pendant un an uniquement des aliments des Îles pour documenter le tout. Je me suis vite rendu compte que personne n’allait le faire… sauf moi ! J’ai assumé mon idée et je me suis lancé.
Quelles sont tes impressions après ces premières semaines d’autonomie alimentaire au beau milieu de l’hiver ?
Mon premier constat est qu’on est vraiment accros aux produits transformés, pleins de sucre. Je n’ai à présent que du miel dans mon régime, et pas de pain ni de pâtes. J’ai aussi éliminé le café !
Les premiers jours ont été difficiles, j’avais des rages de sucre et des maux de tête. Cependant, je peux maintenant dire que mon sommeil s’est amélioré et que j’ai perdu du poids. Je précise que ce n’était absolument pas le but de ma démarche, mais je remarque que c’est l’un des effets de manger moins d’aliments transformés. D’ailleurs, avant de commencer, j’ai fait faire des prises de sang et j’en aurai tous les trois mois, afin de savoir si j’ai des carences.
Sinon, ça se passe plutôt bien ! Il y a un creux de produits frais en avril et mai, puisque mes réserves sont terminées et que les récoltes ne sont pas encore entamées.
Je m’ennuie de consommer des grains, puisqu’on n’en a pas aux Îles. Ça me manque, c’est certain. Puis, je me rends compte que j’aurais aimé avoir du chou-fleur. J’aurais pu me faire du faux riz. Je me reprendrai cet été.
À quoi ressemblent tes repas ?
Pour le petit-déjeuner, je mange surtout des oeufs, du bacon maison (j’ai mes cochons que j’ai élevés, abattus et transformés moi-même), beaucoup de pommes de terre (un produit phare aux Îles). Récemment, j’ai fait ma propre farine de patate pour pouvoir me cuisiner des crêpes le matin, histoire de varier.
Mes dîners et soupers sont les mêmes : je consomme énormément de poissons et de fruits de mer, que j’ai surgelés quand ils étaient de saison, ou de la viande comme du porc et du boeuf. Cet hiver, je suis allé à la chasse au loup marin. J’ai donc pu faire le plein de viande fraîche.
J’en ai congelé une partie parce qu’aux Îles, la viande de loup marin est très festive, on aime la partager lors de grandes tablées. Je me promets d’en faire un beau repas cet été.
Pour ce qui est des fruits, j’avais profité de l’abondance estivale pour emmagasiner des fraises, des framboises et des bleuets. J’ai des réserves de canneberges, de pêches, de melon miel et de melon d’eau. J’avoue que je me rationne un peu en ce moment, pour être sûr d’en avoir jusqu’à la belle saison !
J’ai des jardins et une serre, alors je fais pousser beaucoup de choses. Je me suis construit une chambre froide à la maison, comme ça je peux cuisiner mes beaux légumes de conservation tout l’hiver : patates, navets, carottes, betteraves, oignons.
J’ai également pu trouver un homme qui voulait m’aider et qui m’approvisionne en lait. Je fabrique mon fromage, mon yogourt et je prépare actuellement mon vinaigre.
Dirais-tu que tu es en autonomie alimentaire à 100 % ?
Pratiquement, oui ! Les deux seuls produits que je vais acheter chez des artisans locaux sont le miel de Miel en mer (mais j’ai une ruche aussi, et je vais bientôt avoir mon propre miel) ainsi que le sel Alcyon. Pour faire mes saumures et pour cuisiner, j’en avais besoin de beaucoup, alors ils vont m’en fournir toute l’année.
Mon projet attire beaucoup l’attention des Madelinots et, déjà, certains sont venus me porter des aliments frais qu’ils ont chassés ou pêchés, dont du canard et de l’éperlan, pour m’aider.
Qu’en est-il de l’alcool ?
Le seul que je peux boire est l’hydromel de Miel en mer. Tous ses ingrédients sont locaux, sauf les levures, mais ça, c’est l’une de mes deux exceptions, pour les bactéries qui entrent dans la confection de mon fromage et de mon yogourt, par exemple. Je sais qu’il y a également un vignoble à Bassin. Je dois aller le visiter !
À l’approche de l’été, quel est ton plan de match concernant les produits frais ?
Je compte mieux profiter de ce qui sera de saison. L’an dernier, j’ai fait tellement de conserves pour me préparer que maintenant j’ai aussi envie de manger frais. Par exemple, lorsque le homard sera de retour, ou la morue, ainsi que les chanterelles…
Que penses-tu retenir de cette expérience ?
J’apprends beaucoup : des techniques de pêche, de conservation, de lactofermentation… Je me rends déjà compte que c’est un défi de partage. La communauté est derrière moi et elle a le désir de se réapproprier ces techniques de chasse, de pêche, d’abattage, de consommer davantage des produits locaux. C’est la préservation du patrimoine immatériel de notre terroir.