Le casse-tête des exigences tous azimuts
L’action syndicale doit s’adapter aux réalités des travailleurs qui se diversifient, estiment des experts
Si les évolutions dans les milieux de travail ont été multiples et se sont accélérées au cours des dernières années, les choses ont progressé beaucoup moins rapidement du côté des actions syndicales, observe Sid Ahmed Soussi, sociologue du travail et du syndicalisme. « Il y a une temporalité du travail qui n’est plus la même avec le télétravail. Mais, ce qui est le point le plus important, c’est vraiment les transformations structurelles du monde du travail », illustre celui qui est également professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
En 2021, le taux de présence syndicale dans la province était de 40 %, selon un rapport publié en 2022 par le ministère du Travail du Québec. Or, ce nombre est un constat « relativement trompeur », croit
M. Soussi. Il précise que le secteur public compte pour 85,5 % de la présence syndicale, contre 23 % dans les entreprises privées. Le Québec est, d’après lui, un exemple typique de la situation où l’on assiste à une diminution de la présence syndicale dans les secteurs privé et industriel. « C’est comme si vous avez deux enfants et que vous dites qu’un d’entre eux est âgé de 18 ans et un autre, 2 ans, et que leur moyenne d’âge est de 10 ans. Ça ne veut strictement rien dire », illustre-t-il. Le professeur explique cette réalité par une forte contraction de la présence syndicale dans le secteur privé. « Aujourd’hui, c’est le secteur public qui est le dernier grand refuge de l’action syndicale au Québec », souligne-t-il.
Des différences entre les générations
Alors que les baby-boomers, le personnel de la génération X, les millénariaux et ceux de la génération Z se côtoient sur le marché du travail, les attentes se transforment, constate Mélanie Dufour-Poirier. Selon la professeure agrégée à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, ces plus jeunes salariés sont ainsi plus attachés à leur équilibre de vie qu’à leur employeur.
Option de télétravail pour concilier les vies professionnelle et privée, demandes concernant des salles de sport ou des tables de billard… « Ce sont de nouvelles générations plus exigeantes quant aux conditions de travail qu’elles estiment être en droit de réclamer », observe Mme Dufour-Poirier.
« À l’époque de l’ère industrielle, on était davantage dans l’archétype de l’employé qui se définissait par son travail, avec une relation d’emploi très sécurisée. On pouvait tenir pour acquis qu’on allait rester toute sa vie dans la même entreprise. Maintenant, force est de constater que ce n’est pas le cas », ajoute la professeure.
Une grande partie des jeunes Québécois travaillent également dans des postes non syndiqués, observe de son côté M. Soussi. « Les millénariaux et les Z sont aujourd’hui des gens qui ne travaillent pas dans le secteur industriel. Ils sont dans les entreprises de services, dans les banques, dans les assurances. Ils font beaucoup de télétravail ou du travail en hybride, ou se trouvent dans des conditions que permettent les technologies numériques actuelles. Ces secteurs d’activité, ces catégories de salariés, ils ne sont pas du tout accessibles à l’action syndicale », croit-il.
Des travailleurs pas tous égaux
Si les jeunes qui sont nés et qui ont grandi en sol québécois se sentent davantage en position de négocier leurs conditions de travail, ce n’est pas le cas d’autres ouvriers du même âge. Ces derniers incluent notamment les migrants, les réfugiés ou les travailleurs temporaires, que les secteurs d’activité où le travail est fragile échappent également à l’action syndicale.
Selon M. Soussi, la précarisation de la maind’oeuvre, générant un haut taux de roulement, constitue « un obstacle majeur » à la syndicalisation dans certaines grandes entreprises.
Mme Dufour-Poirier abonde en ce sens. « Malheureusement, les femmes, les personnes racisées, les migrants, les étrangers… Tous ces gens ne sont pas toujours dans le même rapport au travail […] Et il ne faut pas voir les jeunes comme un bloc homogène quand on pense à leurs attentes, leurs besoins, leurs aspirations et les conditions de travail qui leur sont concédées ou offertes par les employeurs. »
Un leadership pas encore assez féminin
Malgré le fait que davantage de femmes qu’auparavant occupent des positions de leadership au sein des mouvements syndicaux, elles y sont toujours minoritaires, constate M. Soussi. « Aujourd’hui, l’accès des travailleuses aux postes de décisions dans les organisations syndicales reste problématique », dit-il. Et ce, peu importe qu’il s’agisse des syndicats de base, des fédérations ou des centrales. « On a encore des écarts significatifs à l’intérieur même des organisations syndicales. Mais il y a des efforts qui sont faits. »
« Ce n’est pas juste le fait d’avoir une présence de femmes », ajoute de son côté Mme DufourPoirier. Elle estime que les personnes en situation de leadership, sans distinction de sexe, doivent avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour prendre des risques pour provoquer une évolution. « Ça ne veut pas dire que ça va être facile, que ça va toujours très bien aller. Mais c’est un processus de changement. Il faut donc accepter qu’il y a des fois où ça va brasser. »