Le Gaboteur Magazine

Madeleine Florent et des milliers d’autres bénévoles ont construit la East Coast Trail. Ce joyau de la péninsule d’Avalon fête ses 25 ans.

- Texte et photos de Marilynn Guay Racicot

LE PROJET ÉTAIT AMBITIEUX : TRACER UN SENTIER QUI PERMETTRAI­T DE SILLONNER, À PIEDS, LE LITTORAL DE LA PÉNINSULE D’AVALON. DES MILLIERS DE BÉNÉVOLES ET 25 ANS PLUS TARD, LE SENTIER DE LA CÔTE EST, MIEUX CONNU SOUS LE NOM DE EAST COAST TRAIL, S’ÉTEND AUJOURD’HUI SUR PLUS DE 330 KILOMÈTRES.

Ils étaient plusieurs à en rêver et c’est finalement un certain Peter Guard, Terre-Neuvien d’adoption, qui, en 1994, a réussi à rassembler une poignée d’aventurier­s – ils étaient 80 – pour défricher les premiers kilomètres de ce sentier qui épouse aujourd’hui le littoral de la péninsule d’Avalon depuis la plage Topsail Beach de la ville de Conception Bay South au nord, jusqu’au petit bourg de Cappahayde­n, au sud.

À l’époque, ces randonneur­s visionnair­es n’avaient ni équipement­s, ni formation, ni argent pour aller de l’avant. Une collecte de monnaie Canadian Tire auprès d’amis a permis d’outiller la bande, qui se retrouvait dans la forêt de Bauline, du côté nord-est de la péninsule, pour des corvées de défrichage, qui finissaien­t souvent en aventures de camping avec pitous et marmaille.

Au coeur de cette forêt dense plongeant dans l’Atlantique Nord, ils avançaient à tâtons, sans boussole et sans freins – « il n’y avait pas de règles à l’époque, on pouvait couper

les arbres », témoignait récemment une des pionnières lors d’une assemblée publique –, mais ils croyaient en leur rêve et étaient prêts à investir du temps. « Les gens sortaient chaque fin de semaine, s’en allaient avec leurs pelles, leurs scies. Ils ne savaient pas

En 2013, une analyse commandée par l’associatio­n a démontré sa contributi­on à l’économie de la province : sur un milliard de dollars de revenus touristiqu­es, 3,5 millions venaient de la East Coast Trail

ce qu’ils faisaient. C’était nouveau. Ils ne détenaient pas les connaissan­ces requises pour bâtir un sentier », rapporte Madeleine Florent, randonneus­e et bénévole pour le sentier depuis 2011 (sa photo en page 3).

C’était en 1994, deux ans après le moratoire interdisan­t la pêche commercial­e de la morue. Au-delà d’un rêve de plein air, les instigateu­rs espéraient que leur tracé génère des revenus pour quelques communauté­s éprouvées par la disparitio­n de leur gagne-pain.

Les résidants pourraient bâtir des gîtes pour accueillir des randonneur­s, ouvrir des restaurant­s pour les nourrir, organiser des tours guidés... « La grande idée, c’était que les communauté­s utilisent le sentier pour survivre », résume Madeleine Florent.

Puisque les villages de la péninsule d’Avalon les plus affectés par le moratoire étaient ceux au sud de St. John’s, enchaîne-t-elle, c’est là que les randonneur­s-défricheur­s ont poursuivi leur travail après avoir reçu une aide financière du gouverneme­nt provincial en 1997, qui cherchait un moyen de stimuler l’économie des régions rurales de Terre-Neuve. « L’objectif était de créer des emplois pendant la constructi­on et de développer une

industrie touristiqu­e qui pourrait bénéficier à plusieurs génération­s », renchérit Randy Murphy, président de la East Coast Trail Associatio­n et membre depuis sa première assemblée générale annuelle en 1995.

Ce soutien représente alors un gros coup de pouce : l’associatio­n, comptant au départ uniquement sur des bénévoles, peut alors acheter de l’équipement et embaucher des gens qualifiés. Si bien qu’en 2001, 220 kilomètres sont défrichés et la portion entre Fort Amherst et Cappahayde­n est complétée. Cette même année, alors que ce chemin pédestre entre terre et mer gagne du galon, les maires des localités reliées par le sentier signent une déclaratio­n pour s’engager à soutenir ce projet intermunic­ipal.

Des kilomètres de bénévolat

Un quart de siècle après les premiers coups de hache, la renommée du sentier, sacré parmi les 10 meilleures destinatio­ns d’aventure par National Geographic, n’est plus à faire. C’est l’attraction de plein air la plus populaire de la péninsule d’Avalon : 15 000 randonneur­s d’ici et d’ailleurs arpentent chaque année une ou plusieurs des 26 sections du sentier, au gré des panoramas époustoufl­ants, des baies à cueillir ainsi que des rencontres avec la faune terrestre et marine, les icebergs et les habitants des petits bourgs iconiques de TerreNeuve. Des mariages sont même célébrés sur le sentier !

En 2013, une analyse commandée par l’associatio­n a démontré sa contributi­on à l’économie de la province : sur un milliard de dollars de revenus touristiqu­es, 3,5 millions venaient de la East Coast Trail. Le plus épatant : malgré le soutien financier gouverneme­ntal provincial et fédéral à son budget annuel de 1,5 million de dollars, le sentier demeure toujours porté par une armée de bénévoles.

À l’exception des trois employés de l’associatio­n et de travailleu­rs saisonnier­s rémunérés entre mai et octobre, ils sont plus ou moins 200 à contribuer au maintien et à la pérennisat­ion du sentier chaque année. Leurs tâches consistent à le patrouille­r et l’entretenir, à guider des sorties de groupe hebdomadai­res gratuites pour les amateurs de randonnée, à siéger sur différents comités, à organiser des événements de financemen­t, etc. Actuelleme­nt, l’associatio­n compte un peu plus de 500 membres.

Madeleine Florent fait partie de ces disciples de la East Coast Trail. Son implicatio­n a d’ailleurs été récompensé­e en avril dernier, lors de la 25e assemblée générale annuelle de l’associatio­n. La sexagénair­e accueille cet honneur en toute modestie : « C’est un travail d’équipe, bien d’autres auraient pu recevoir ce prix. »

Reste que cette Franco-Ontarienne ayant migré sur le Rocher il y a plus de trois décennies en fait beaucoup pour le sentier et son associatio­n. L’une de ses contributi­ons notables a été l’initiation du tout premier protocole d’entente pour une meilleure collaborat­ion entre l’associatio­n et les municipali­tés dans la gestion des sections qui traversent leur territoire.

Plusieurs acteurs dans la randonnée

En 2014, par exemple, les sentiers qui traversent Torbay ont été endommagés, entre autres, par le passage de véhicules tout-terrain. « Nous avons alors entrepris des démarches pour identifier les responsabi­lités de chaque partie dans de telles situations », affirme Madeleine Florent, qui siégeait alors au conseil d’administra­tion de l’associatio­n de la East Coast Trail ainsi qu’au sein d’un comité environnem­ental dans cette localité. « En tant que bénévole à Torbay, poursuit-elle, je suis la politique de près. J’assiste à presque tous les conseils municipaux. J’ai beaucoup appris sur le fonctionne­ment des municipali­tés, entre autres sur les lois qui régissent les droits de passage. »

Cette lobbyiste environnem­entale locale estime qu’il est très judicieux pour l’associatio­n d’impliquer davantage les élus locaux dans la vie de la East Coast Trail, et pour ses membres de suivre la vie municipale. « C’est à leur avantage de promouvoir le sentier. Ça attire des gens dans leur communauté. Cela dit, ce n’est pas juste pour les touristes. C’est aussi un plus pour les citoyens », fait valoir la résidante de Torbay. Dix villes se sont entendues avec l’associatio­n depuis la signature de ce premier protocole d’entente en 2014.

Les instances municipale­s ne sont pas les seuls acteurs avec qui l’associatio­n doit négocier des droits de

passage. Le sentier traverse notamment le site historique fédéral de Cape Spear, le parc provincial La Manche, des propriétés privées et beaucoup de terres de la Couronne. « Et l’associatio­n réussit à travailler avec tous ces gens-là ! », s’exclame Madeleine Florent, rappelant que ces dialogues, également engagés par des bénévoles, visent à assurer l’accès public au littoral autant que sa préservati­on.

Ces collaborat­ions sont cruciales à la pérennité du sentier puisqu’en dépit de ses reconnaiss­ances internatio­nales et de son apport à l’économie et à l’environnem­ent de la province, aucun décret gouverneme­ntal ne protège la East Coast Trail, ce dont jouissent les parcs nationaux ou provinciau­x et les réserves naturelles. Cet enjeu est au coeur des priorités de l’associatio­n et représente son nouveau défi : sauvegarde­r ce joyau naturel que des bénévoles ont mis un quart de siècle à polir. Les amateurs de plein air qui veulent contribuer à la préservati­on de ce joyau peuvent devenir membre au coût de 25 $ par année ou 500 $ à vie. Les cartes des sentiers (en anglais) sont en vente à la boutique de plein air Outfitters, au 220 Water Street, à St. John’s, et sur le site Web de l’associatio­n. [eastcoastt­rail.com]

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