Le Gaboteur Magazine

Né à Montréal et accroché au Labrador : récit d’une double appartenan­ce.

LES FRANCOPHON­ES QUI VIVENT À TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR ONT SOUVENT GRANDI AILLEURS, APPORTANT AVEC EUX LEURS ACCENTS ET LEURS CULTURES. COMMENT SE DÉFINISSEN­T-ILS QUAND ILS S’ACCROCHENT À CET AUTRE COIN DE LA TERRE ? TÉMOIGNAGE.

- Un texte de Charles Garnier

Lorsque j’ai été engagé il y a 13 ans par la compagnie minière Québec Cartier, aujourd’hui devenue ArcelorMit­tal, j’ai eu l’opportunit­é comme tous les autres employés d’acheter à prix très modique une propriété de la compagnie dans la ville de Fermont, avec promesse de rachat au même prix au moment du départ.

Cette offre alléchante va de soi pour la quasi-totalité des nouveaux employés. La ville minière de Fermont est composée de gens qui proviennen­t des quatre coins de la province du Québec et la vie s’y déroule dans un français agrémenté des saveurs mélangées de tous les accents des différente­s régions d’origine de ses habitants.

Les villes de Labrador City et Wa

bush sont situées à quelque 25 kilomètres de Fermont, mais de l’autre côté de la frontière, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Bien qu’elles offrent tous les commerces, les commodités et les services des grandes villes, elles ne parviennen­t toutefois pas à attirer les nouveaux employés de Fermont qui choisissen­t presque tous de continuer de vivre en français au Québec.

Presque tous, sauf quelques marginaux dont je fais partie. Nous avons bien pris le temps, mon épouse et moi, de peser les pours et les contres avant de traverser la frontière.

Une ville anglophone

Le prix plus élevé des maisons, la précarité d’un nouvel emploi, la distance de mon lieu de travail, l’immersion de notre famille dans une ville anglophone, beaucoup de facteurs influençai­ent notre choix mais quelque chose m’attirait dans la façon de vivre des gens au Labrador et ce quelque chose a fait pencher la balance.

Ayant vécu dans le brouhaha étourdissa­nt de la grande région de Montréal depuis l’âge de 18 ans et étant un habitué des bouchons de circulatio­n et de la course quotidienn­e métro-boulot-dodo, je regardais les gens du Labrador prendre le temps de s’arrêter en voiture sur le côté de la route pour jaser avec quelqu’un sur le trottoir, les autres automobili­stes attendant patiemment derrière sans klaxonner. J’enviais cette façon de vivre. Elle me semblait plus normale.

Parfois, le paquet de nerfs qui m’habite encore – mon origine mon

tréalaise ne m’ayant pas définitive­ment abandonné – se réveille et je me laisse encore aller à une crise de ponctualit­é, d’efficacité et de productivi­té. Je recommence à stresser et à avoir envie de doubler un autre automobili­ste respectant scrupuleus­ement les limites de vitesse. Ces moments d’égarement se font heureuseme­nt de plus en plus rares et il ne me faut qu’une seule semaine de vacances dans ma métropole d’origine pour me rappeler combien j’apprécie le rythme de vie de ma petite ville d’adoption.

Jaser avec son voisin

Je me surprends souvent à réaliser que la longue liste de choses à faire qui devait occuper ma journée de congé au moment de sortir de la maison le matin est devenue obsolète au profit d’une grande discussion sur des choses sans importance dans la ruelle avec mon voisin retraité. Avec le temps, ces changement­s de priorités sans préavis affectent de moins en moins mon caractère cartésien et productif. Je me sens au contraire toujours un peu mieux, à mesure que j’adopte le style de vie plus décontract­é de mes concitoyen­s.

Je ne saurais dire si j’ai développé une appartenan­ce à ma nouvelle

« Parfois, le paquet de nerfs qui m’habite encore – mon origine montréalai­se ne m’ayant pas définitive­ment abandonné – se réveille et je me laisse encore aller à une crise de ponctualit­é, d’efficacité et de productivi­té. »

province plus forte que mes origines québécoise­s, puisque mon déménageme­nt a coïncidé avec un changement radical de style de vie. J’ai un attachemen­t identitair­e très fort à ma nouvelle vie tranquille loin des grands centres urbains, peu importe de quel côté de la frontière cette quiétude se trouve.

Je suis un Néo-Labradorie­n, habitant d’une région juste assez éloignée pour y vivre dans le calme, et je suis Québécois-Montréalai­s d’origine.

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