Regard sur le nationalisme terre-neuvien
UNE ÎLE, UNE NATION ? CETTE QUESTION EST LE TITRE D’UN LIVRE QUI MET L’ACCENT SUR TERRE-NEUVE ET PORTO RICO PARU EN 2018 AUX PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC. ENTRETIEN AVEC SON AUTEURE, LA QUÉBÉCOISE VALÉRIE VÉZINA, ENSEIGNANTE EN SCIENCE POLITIQUE À LA KWANTLEN POLYTECHNIC UNIVERSITY DE SURREY, EN COLOMBIE-BRITANNIQUE. Pourquoi avoir étudié le nationalisme terre-neuvien plutôt que le nationalisme québécois ?
Du point de vue strictement scientifique, le nationalisme québécois est sur-étudié par de nombreux intellectuels au Québec, mais aussi ailleurs (en Catalogne, par exemple). Je ne vois pas comment j’aurais pu apporter grand-chose de nouveau. Le nationalisme terre-neuvien est très peu étudié, encore moins par un regard extérieur.
D’un point de vue très personnel, j’ai fait ma maîtrise à l’Université Memorial en 2005. Je ne connaissais pratiquement pas Terre-Neuve, j’avais seulement visité l’île quelques jours en 2003. Je me suis rendu compte assez rapidement qu’il y avait quelque chose de différent ici. À l’époque, je disais tout le temps à mes amis terre-neuviens à quel point ils étaient merveilleux, et je le leur dis encore (!), mais j’avais aussi envie de rendre à Terre-Neuve ce qu’elle m’avait donné en faisant de son nationalisme un sujet d’étude. C’est super égoïste en fait, pour me déculpabiliser ! (rires)
Est-ce que le nationalisme est bien vivant à Terre-Neuve ?
Les statistiques démontrent que 40 % des Terre-Neuviens se définissent d’abord par leur province, et ensuite par leur pays, ce qui est énorme comparativement aux autres provinces (sauf au Québec, où ce nombre est légèrement plus élevé).
Je dirais donc que oui, le nationalisme existe, surtout par ses symboles assez frappants. On peut penser par exemple au drapeau nationaliste de Terre-Neuve, à son hymne national officiel ou encore à son folklore musical, tel que la chanson The Banks of Newfoundland. Je dirais même que le fameux dictionnaire terre-neuvien en est le symbole le plus fort, car la langue est le marqueur le plus important pour identifier le nationalisme de manière générale.
Cependant, des éléments manquent pour qu’on puisse le qualifier de nationalisme affirmé, ou encore de nationalisme revendicateur. Par exemple, si une île possède un système politique différencié, son nationalisme sera plus fort, ce qui n’existe pas à Terre-Neuve ( nldr : à contre-exemple, au Québec, il existe quelques partis nationalistes).
Ma réponse est donc mitigée selon le cadre d’analyse observé: territorial, politique, historique ou culturel. L’aspect politique est absent. Mais le na
tionalisme terre-neuvien existe, c’est sûr qu’il existe.
J’imagine que ce sont les cadres d’analyse énumérés plus haut qui vous ont amenée à choisir Puerto Rico comme comparatif ?
Oui. Le cadre territorial m’intéresse particulièrement : le fait que TerreNeuve soit une île. Il y a un petit « jene-sais-quoi » sur une île, peu importe que ce soit Cuba, les Îles-de-la-Madeleine, ou encore Montréal. J’ai appelé ce je ne sais quoi l’îléité, semblable à ce qu’on qualifie en anglais de « islandness ». C’est un mot que je préfère à « insularité », qui vient avec son lot de connotations négatives : isolement, repli sur soi, etc. L’îléité dénote plutôt une ouverture sur le monde, par le commerce, le transit. C’est dans cette perspective d’îléité que j’ai exclu d’emblée le Labrador, que je souhaite
« Il y a un petit “je-nesais-quoi ” sur une île, peu importe que ce soit Cuba, les Îles-de-la-Madeleine, ou encore Montréal. J’ai appelé ce je-ne-sais-quoi l’îléité. »
d’ailleurs étudier prochainement par son lien avec Terre-Neuve.
J’ai donc voulu comparer TerreNeuve à une île, certes, mais à une île similaire, c’est-à-dire qui ne soit pas un pays en soi et qui soit rattachée à un État fédéral. Sur le plan historique, les deux îles ont obtenu leur statut politique au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, 1949 pour Terre-Neuve et 1952 pour Puerto Rico. Fait amusant, les deux îles ont le même nom de capitale, Saint-Jean (St. John’s et San Juan)! Par leurs ressemblances, je pouvais me concentrer sur leurs différences.
Y a-t-il un aspect qui vous a particulièrement surprise au travers de vos recherches ?
Ce qui m’a étonnée, c’est que la dichotomie du « Townie » versus le « Bayman » est beaucoup plus complexe qu’elle n’en a l’air à Terre-Neuve. Pendant longtemps, les villages étaient isolés donc les identités sont, encore à ce jour, plutôt fragmentées. On peut donc dire qu’il y a de multiples nationalismes terre-neuviens.