Casper, mon smartphone et les coupures de courant
Tout le monde connaît Casper le gentil fantôme. Mais connaissez-vous Casper la petite pieuvre ? Tel est le nom donné à un octopode découvert récemment et qui n'a pas encore de nom scientifique. L'observation de ce nouvel animal, qui vit dans les eaux du Pacifique à une profondeur dépassant les 4000 mètres, a été décrite par Autun Purser et ses collègues dans un article de Current
Biology de décembre 2016.
Nous ne connaissons que peu la biologie et l'écologie des pieuvres qui vivent en eaux profondes tant il est rare et difficile de les observer. Dans un article paru dans Plos
One en 2014, les chercheurs Robison, Seibel et Drazen racontent avoir observé – à 1397 mètres de profondeur – une pieuvre (Graneledone boreopacifica) couver ses oeufs pendant environ 4 ans et demi ; la plus longue couvée observée dans le règne animal. Et le plus surprenant est qu'elle ne semble pas se nourrir pendant ce temps-là.
La profondeur à laquelle vivent les animaux marins influence leur développement et leur comportement. Plus ils vivent profondément, plus leur métabolisme se ralentit. Si, à 1397 mètres, une couvée peut durer 4 ans et demi, on peut se demander combien de temps dure une couvée à plus de 4000 mètres de profondeur.
Casper pond ses oeufs, entre autres, sur des tiges d'éponges mortes. Ces éponges poussent de préférence sur des nodules de manganèse. Pieuvres, éponges, minerais ; c'est une écologie complexe, fragile et qui recèle tant d'autres secrets, qui s'entremêle dans les profondeurs de nos océans.
Sur la terre ferme, les humains eux ont beaucoup de besoins pour survivre : télévisions, fours à micro-ondes, ordinateurs, smartphones… Les minerais nécessaires à leur production (nickel, cuivre ou cobalt par exemple) se trouvent, entre autres, sur des sites riches en manganèse. Avec une demande croissante pour des objets technologiques, les industries se tournent donc avec espoir et convoitise vers les fonds océaniques. Exploiter ces ressources signifie détruire l'habitat des éponges et donc faire disparaître des lieux de ponte pour Casper. Pour le moment de tels projets d'exploitation sont trop coûteux, mais pour combien de temps ?
Je repense aux coupures de courant que j'ai vécues pendant les tempêtes, ici à Saint-Jean : plus d'électricité, plus de chauffage, plus de four, plus de radio, plus d'internet, plus de smartphone. Pendant quelques heures, tous ces appareils électroniques se taisent, inertes et inutiles. Généralement, je ne m'en porte pas plus mal. Ces objets sontils absolument nécessaires ? Et ne vaudrait-il pas mieux laisser tous ces composants minéraux au fond des océans pour permettre à des petits Casper de continuer à vivre ? Je me demande combien de temps cela prendra avant que la petite pieuvre Casper ne devienne réellement plus qu'un fantôme.