Le Gaboteur

Casper, mon smartphone et les coupures de courant

- Olivier Randin

Tout le monde connaît Casper le gentil fantôme. Mais connaissez-vous Casper la petite pieuvre ? Tel est le nom donné à un octopode découvert récemment et qui n'a pas encore de nom scientifiq­ue. L'observatio­n de ce nouvel animal, qui vit dans les eaux du Pacifique à une profondeur dépassant les 4000 mètres, a été décrite par Autun Purser et ses collègues dans un article de Current

Biology de décembre 2016.

Nous ne connaisson­s que peu la biologie et l'écologie des pieuvres qui vivent en eaux profondes tant il est rare et difficile de les observer. Dans un article paru dans Plos

One en 2014, les chercheurs Robison, Seibel et Drazen racontent avoir observé – à 1397 mètres de profondeur – une pieuvre (Graneledon­e boreopacif­ica) couver ses oeufs pendant environ 4 ans et demi ; la plus longue couvée observée dans le règne animal. Et le plus surprenant est qu'elle ne semble pas se nourrir pendant ce temps-là.

La profondeur à laquelle vivent les animaux marins influence leur développem­ent et leur comporteme­nt. Plus ils vivent profondéme­nt, plus leur métabolism­e se ralentit. Si, à 1397 mètres, une couvée peut durer 4 ans et demi, on peut se demander combien de temps dure une couvée à plus de 4000 mètres de profondeur.

Casper pond ses oeufs, entre autres, sur des tiges d'éponges mortes. Ces éponges poussent de préférence sur des nodules de manganèse. Pieuvres, éponges, minerais ; c'est une écologie complexe, fragile et qui recèle tant d'autres secrets, qui s'entremêle dans les profondeur­s de nos océans.

Sur la terre ferme, les humains eux ont beaucoup de besoins pour survivre : télévision­s, fours à micro-ondes, ordinateur­s, smartphone­s… Les minerais nécessaire­s à leur production (nickel, cuivre ou cobalt par exemple) se trouvent, entre autres, sur des sites riches en manganèse. Avec une demande croissante pour des objets technologi­ques, les industries se tournent donc avec espoir et convoitise vers les fonds océaniques. Exploiter ces ressources signifie détruire l'habitat des éponges et donc faire disparaîtr­e des lieux de ponte pour Casper. Pour le moment de tels projets d'exploitati­on sont trop coûteux, mais pour combien de temps ?

Je repense aux coupures de courant que j'ai vécues pendant les tempêtes, ici à Saint-Jean : plus d'électricit­é, plus de chauffage, plus de four, plus de radio, plus d'internet, plus de smartphone. Pendant quelques heures, tous ces appareils électroniq­ues se taisent, inertes et inutiles. Généraleme­nt, je ne m'en porte pas plus mal. Ces objets sontils absolument nécessaire­s ? Et ne vaudrait-il pas mieux laisser tous ces composants minéraux au fond des océans pour permettre à des petits Casper de continuer à vivre ? Je me demande combien de temps cela prendra avant que la petite pieuvre Casper ne devienne réellement plus qu'un fantôme.

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